Les limites de la scandalisation

La rhétorique de la dénonciation des « scandales » est aussi banale que puissante. Mais les effets de la mise en accusation publique restent aléatoires. Certes, les médias de divertissement ont de longue date mis en scène les comportements transgressifs des élites dans leur milieu professionnel. Des films ont obtenu de grands succès : du scandale du Watergate (All the presidents’men, 1976), à la débâcle financière de 2008 (Too big to fail, 2011), en passant par la dénonciation de la corruption (All the King’s men, 1949 ; The best man, 1964 ; City Hall, 1996 ; Lord of War, 2005). Des séries télévisées font de ces sujets la matière récurrente d’excellents scénarios : Boss, Boardwalk Empire, The Wire. Mais le plaisir de l’indignation morale suscité par des fictions est très éloigné des vicissitudes des réformes sociales et politiques. À la suite de différentes enquêtes sur la réaction sociale aux déviances et délinquances des élites – matière favorite de la scandalisation –, de nombreux auteurs ont montré le contraste massif qui existe dans la durée entre la virulence initiale des campagnes médiatiques de dénonciation et la faiblesse des réactions sociales finales. Chaque fois qu’est révélé un évènement montrant un problème de transgression majeure des normes sociales impliquant un dirigeant (public ou privé), la situation est présentée comme intolérable. Le terme « scandale » est très facilement utilisé. Nombre de journalistes et d’experts appellent à des sanctions exemplaires et à des mesures de prévention exigeantes. Mais après des mois, régulièrement après des années de silence, le « scandale » n’est plus qu’une « affaire » et se trouve réduit finalement à un « problème technique » dépourvu d’enjeu majeur. Souvent, aucune poursuite n’a lieu, l’affaire est classée faute de preuve ou de gravité démontrée. Au bout du compte, il y a peu ou pas de sanction et peu ou pas de grande réforme. Ainsi, longue est la liste des « scandales » à court terme dont l’issue judiciaire et politique a été purement symbolique, ou bien elle s’est effilochée dans les méandres des expertises et de la procédure. Les procès du Crédit lyonnais (de Blic, 2005) ou de l’ex-président Jacques Chirac (Lascoumes, 2013) en fournissent des exemples significatifs.