L’arôme est si extraordinaire qu’il s’apparente à « un coup de poing dans la bouche »: attentifs et ravis, des acheteurs chinois s’ébahissent devant les milliers de jambons ibériques séchant dans le dédale de caves d’un producteur du sud-ouest de l’Espagne.
Tandis que Luqi Wu s’extasie sur la saveur du produit, ses trois collègues s’exercent à trancher le jambon le plus finement possible, détail crucial pour les dégustations qu’ils organiseront pour leurs acheteurs à leur retour à Shanghai.
« Au départ, les clients recherchaient juste des produits élégants, parce qu’ils sont riches. Mais aujourd’hui, ils veulent en savoir plus, comprendre pourquoi c’est si bon et pourquoi ils paient si cher », explique ce responsable commercial de Jiarui Fine Food, une jeune entreprise spécialisée dans l’importation de produits gastronomiques de luxe dans l’Empire du Milieu.
Le jambon espagnol commence à se tailler une place de choix en Chine, premier consommateur mondial de porc, où il est vendu comme produit de luxe et dame le pion à ses concurrents italiens et français.
Les Espagnols ont rapidement rattrapé leur retard sur les Italiens, pionniers du marché chinois avec leur jambon de Parme: ils sont désormais en tête des ventes de jambon sec, toutes qualités confondues, avec 1,8 million d’euros de ventes en 2016 (Hong-Kong exclu), contre 1,4 million pour l’Italie et seulement 30.000 euros pour la France, où un seul producteur possède l’agrément, selon la Fédération française des industries charcutières (FICT).
Début mars, les trentenaires chinois de Jiarui Fine Food ont fait le voyage jusqu’au village de Jabugo, niché dans les collines d’Andalousie, à l’invitation de la marque Cinco Jotas, spécialiste du jambon haut de gamme.
Dans des pâturages idylliques recouverts de chênes, des troupeaux de cochons noirs de pure race ibérique se nourrissent des derniers glands de l’hiver, qui donneront au jambon un goût de noisette unique après trois ans d’affinage.
Les commerciaux chinois se font expliquer toutes les subtilités de la fabrication, pour en faire un argument de vente.
Car le jambon est vendu plus cher en Chine qu’en Espagne, à des clients très aisés: 10 à 20 % de plus pour les produits classiques, encore davantage pour la haute qualité. Un +pata negra+, le nec plus ultra de la variété « bellota », sorte de caviar du jambon, peut se vendre à Hong Kong jusqu’à 3.000 euros pour un jambon entier.
Cadeau de luxe
Comme une dizaine d’autres fabricants espagnols de jambon, Cinco Jotas a obtenu au début des années 2010 l’agrément sanitaire pour la Chine, désormais son premier marché après l’Espagne.
Le produit se vend dans des restaurants, épiceries et réseaux de cadeaux de luxe des mégalopoles chinoises.
« Le marché total (du jambon de haute qualité) en Chine est d’environ 20 à 30.000 pièces par an », détaille Jialin Shen, le patron de Jiarui Fine Food.
René Lemée, directeur du département international de Cinco Jotas, a fait l’an dernier 16 voyages en Chine, où il dispose d’une dizaine de commerciaux. Dans son bureau, une carte représente le monde avec la Chine au centre, « pour comprendre leur point de vue ».
Un effort qui en vaut la peine, au vu du potentiel de cet énorme marché. Les ventes de jambon sec espagnol en Chine ont doublé entre 2012 et 2016.
« La Chine est devenue le deuxième marché extérieur pour le secteur porcin espagnol, après la France », explique Jesus Perez Aguilar, directeur de communication de l’Association interprofessionnelle du porc ibérique.
La courbe des ventes « coïncide avec la crise économique espagnole », qui a poussé les entreprises à se diversifier à l’international, analyse-t-il.
‘Malins’
Chez Ibericos Torreon, producteur de taille moyenne basé à Salamanque (nord-ouest), autre grande région productrice, le succès n’a pourtant pas été instantané.
L’entreprise s’est acharnée, organisant un patient et coûteux travail dans les foires commerciales pour faire connaître le produit aux Chinois, plus habitués à faire mijoter le jambon dans des soupes qu’à le consommer pour lui-même.
« Depuis deux ans, les ventes décollent », raconte Laura Garcia Hernandez, la responsable des exportations, qui préfère ne pas dévoiler les chiffres.
« Les Espagnols ont été plus malins commercialement », notamment en se servant de Hong Kong comme porte d’entrée, constate Robert Volut, président de la FICT.
Le risque de copie ne semble pas les inquiéter outre-mesure: ils misent sur la difficulté à reproduire leur jambon, fruit d’un terroir combinant un climat, une végétation et des animaux bien spécifiques, à l’instar de ce qui se passe dans le domaine du vin.
« On peut copier la forme, mais ce qui se produit en Espagne est très exclusif à la péninsule », assure Santiago Martin, PDG de Embutidos Fermin. La profession travaille néanmoins à mettre sur pied une appellation d’origine protégée.
11/06/2017 14:26:09 – Jabugo (Espagne) (AFP) – © 2017 AFP