Sa carrière dans le renseignement a débuté pendant la Guerre froide pour s’achever face au groupe Etat islamique: Patrick Calvar, qui prend sa retraite mercredi, a exercé pendant 40 ans dans le silence sa mission de policier, jusqu’à devenir un pilier de la lutte antiterroriste.
« Moine-soldat »: l’expression revient en boucle chez ceux qui ont côtoyé ce maître-espion de 61 ans à l’air sévère. Inconnu du public mais unanimement reconnu par ses pairs, sans étiquette politique, il a eu la lourde tâche de commander la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) face à une menace jihadiste inédite.
Si le procureur de Paris François Molins incarne le visage de l’antiterrorisme, Patrick Calvar, dont on aperçoit la silhouette massive à la sortie des réunions de crise à l’Elysée, est son bras armé. Ensemble, ils ont affronté la vague d’attentats qui a frappé la France depuis janvier 2015 faisant 239 morts.
C’est « un grand policier qui, en toutes circonstances, a dégagé une très grande lucidité, un sang-froid à toute épreuve et le courage de dire la vérité et la réalité au politique », déclare à l’AFP François Molins. « Son départ est une perte. »
De la DST (Direction de la surveillance du territoire) à la DGSI en passant par les RG (Renseignements généraux) et la DGSE (surveillance extérieure), il aura arpenté, une cigarette toujours à portée de main, tous les services d’espionnage français, au rythme de l’évolution des menaces.
Né le 26 novembre 1955 à Madagascar, fils d’un gendarme combattant d’Indochine, ce Finistérien débute comme inspecteur en région parisienne avant de devenir commissaire.
En 1984, il trouve sa vocation à la DST, appelé par Raymond Nart, légende du contre-espionnage.
Chargé de traquer les espions de l’Est, ce lecteur assidu de John Le Carré est au coeur de l’affaire Temperville, du nom de l’ingénieur au Commissariat à l’énergie atomique qui a livré des documents au KGB en 1989-1990.
Il est en première ligne lors de la vague d’attentats du Groupe islamique armé (GIA) en France en 1995.
Après un passage en 2009 à la DGSE, Patrick Calvar gravit les échelons du renseignement intérieur.
« Il encaisse les coups »
En 2012, le nouvel exécutif socialiste évince le sarkozyste Bernard Squarcini de la tête de la Direction centrale du renseignement intérieur (DCRI), née de la fusion des RG et de la DST. Patrick Calvar le remplace et prend les clés, dans la foulée, de la nouvelle DGSI censée tirer les enseignements des failles mises en lumière par les attentats de Mohamed Merah.
Il façonne un service d’environ 4.000 personnes, allant chercher de nouveaux profils, des linguistes arabophones aux ingénieurs en cybersécurité. A ses débuts en 2014, la DGSI ne comptait que 5 % de contractuels de ce genre. Ils seront 17 % en 2018.
Et puis, les attentats frappent. « Des épreuves dramatiques qui nous ont marqués et resteront à jamais gravées dans nos mémoires », dit-il.
Les critiques pleuvent. « Ce n’était absolument pas son échec personnel », mais « dans les grandes démocraties, face à ce genre de drame, il y a des fusibles et le patron du renseignement est souvent ce fusible », relève le président de la commission d’enquête parlementaire sur les attentats, Georges Fenech (LR), tout en saluant « une personnalité hors norme ».
Le patron de la DGSI reste à son poste. Il « encaisse les coups, ne cherche pas à se dédouaner sur ses équipes », affirme le procureur Molins, expliquant que tous deux ont cherché « à tirer le système vers le haut ».
Viendront aussi des succès quand des attentats d’ampleur sont déjoués, comme avec l’arrestation de Reda Kriket en 2016 ou celle de deux Français à Marseille avant la présidentielle.
Ses collaborateurs, qui craignent son regard noir et son froncement de sourcils, goûtent alors de rares moments de détente dans l’intimité de la petite salle de réunion jouxtant son bureau spartiate de Levallois-Perret, en région parisienne.
Décoré des insignes d’officier de la Légion d’honneur en mars, ce père de famille a évoqué son « métier de passion qui fait que le temps passe trop vite ». Et remercié le modèle français et son « ascenseur social ».
Il garde le silence sur son avenir. L’oeil pétillant, il lâche seulement qu’il « continuera de servir le drapeau ».
29/05/2017 10:24:43 – Paris (AFP) – © 2017 AFP