Depuis le début de la semaine, un pic de pollution touche Paris et sa région, avec des niveaux de concentration de particules fines et de dioxyde d’azote alarmants. Pour Airparif, il s’agit là du plus intense et du plus long pic de pollution hivernale de la dernière décennie. La circulation alternée et la gratuité des transports publics ont été mises en place. Des mesures identiques sont prévues en cette fin de semaine dans d’autres villes françaises, comme à Lyon et à Villeurbanne.
Selon un rapport de l’Agence européenne pour l’environnement (AEE) rendu public le 23 novembre 2016, la pollution de l’air provoque près de 500 000 morts prématurées en Europe chaque année. Quelques semaines plus tôt, l’Unicef révélait qu’un enfant sur sept dans le monde (soit 300 millions d’individus) vivait dans un endroit où la pollution excède jusqu’à six fois les normes internationales.
La pollution de l’air, et plus généralement la « qualité de l’air », est un enjeu de santé publique très important et des réglementations sur les émissions de gaz et particules nocifs ont été mises en place dans de nombreux pays depuis plusieurs décennies. Ces mesures visent à faire décroître le nombre de pics de pollution autant que les niveaux de fond, les deux ayant un effet néfaste reconnu.
L’effet des réglementations et du changement climatique
Les principaux polluants à considérer pour la qualité de l’air sont le dioxyde d’azote (NO2), l’ozone (O3), qui se présentent sous forme de gaz, et les particules fines. Les particules fines correspondent à l’ensemble des particules liquides ou solides (hormis les gouttelettes et cristaux d’eau) résidant dans l’atmosphère plusieurs heures au moins. Au regard de la réglementation sur la qualité de l’air, les deux quantités qui importent le plus sont les PM10 et PM2,5 qui correspondent à l’ensemble des particules de toute nature de taille respectivement inférieure à 10 micromètres et 2,5 micromètres (μm) de diamètre.
Au-delà de la situation présente, quelle sera la qualité de l’air dans le futur, à 10, 50, 100 ans ? Pour y répondre, deux éléments doivent être pris en compte : l’évolution des réglementations portant sur les émissions de polluants et l’évolution du changement climatique en cours. Ce dernier est principalement dû à l’accroissement des quantités de gaz à effets de serre présents dans l’atmosphère du fait des activités humaines.
Ce changement climatique se traduit par une augmentation de la température moyenne de l’atmosphère estimée à ~0,85 °C pour la période 1880-2012. Il induit également des variations des autres paramètres météorologiques tels que le vent, l’humidité, les nuages ou les précipitations. Tous ces paramètres influent sur la qualité de l’air. On sait, par exemple, que les vents, en transportant les gaz et les particules d’un endroit à un autre, les mélangent.
Que se passerait-il avec un réchauffement à + 2 °C en Europe ?
Plusieurs projets de recherche récents financés par la Commission européenne étudient ces questions, en travaillant sur la base d’un réchauffement global limité à + 2 °C par rapport au niveau préindustriel (vers 1850). Parmi ces projets, citons IMPACT2C, dont l’objectif est de quantifier une large variété d’impacts d’une augmentation de + 2 °C, dont celui sur la qualité de l’air.
Ces travaux sur la qualité de l’air ont été menés à partir d’une approche mobilisant quatre modèles numériques de chimie atmosphérique (l’utilisation simultanée de plusieurs modèles permettant d’évaluer les incertitudes des résultats obtenus). Chaque modèle de chimie a eu recours à un modèle numérique de climat qui lui est propre pour déterminer l’évolution des conditions climatiques ; cette étude se basait sur une projection d’augmentation des gaz à effet de serre selon le scénario dit « intermédiaire » – ni très optimiste, ni très pessimiste – utilisé par le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (Giec).
L’autre élément essentiel pour simuler numériquement la qualité de l’air dans le futur concerne les projections, ou « scénarios », des émissions de polluants. Ceux-ci ont été fournis par le projet de recherche Éclipse. Deux scénarios ont ainsi été utilisés : le scénario CLE (« Current Legislation ») qui se base sur les réglementations actuellement prévues ; le scénario MFR (« Maximum Feasible Reduction ») qui suppose le maximum de diminution des émissions.
Ce que disent les scénarios étudiés
Pour les espèces gazeuses, les simulations menées selon le scénario CLE montrent une diminution de 33 % à 51 % (en fonction du modèle adopté et/ou de la saison considérée) pour le dioxyde d’azote. Cette diminution est en grande partie liée aux hypothèses de réductions des émissions de NO2 grâce aux réglementations, et ce tout particulièrement en hiver.
L’impact sur l’ozone présente une baisse des concentrations moyennes annuelles (voir la figure ci-dessous), avec une différenciation saisonnière. Pour l’été, les concentrations baissent de 11 % et 16 % par rapport à aujourd’hui, elles augmentent modérément, de 3 % à 13 %, en hiver. Il a été montré que ces résultats étaient significatifs du point de vue statistique sur presque toute l’Europe.
D’autres simulations numériques – conduites avec le scénario d’émissions de polluants le plus optimiste possible, le scénario MFR – montrent, par rapport au scénario CLE, une réduction supplémentaire en moyenne du dioxyde d’azote d’environ 60 % et de l’ozone (en été) d’environ 15 %. Pour les particules fines, les projections futures avec le scénario CLE donnent une forte réduction des concentrations de PM10 et PM2,5 sur tout le continent européen. Ces résultats sont très robustes du point de vue statistique. La concentration annuelle de PM10 pourrait diminuer de l’ordre de 15 à 20 %.
Comment corriger le tir ?
L’effet du climat seul, sans changement de réglementations sur les polluants par rapport à l’actuel, est faible, quels que soient les polluants. Pour l’ozone, cet impact est neutre en hiver et de + 0 à + 3 % en été selon les modèles. Pour les particules fines, l’effet du changement climatique seul est statistiquement significatif seulement sur le sud-ouest de l’Europe, où se produirait une légère augmentation. Le manque de robustesse sur les autres régions d’Europe s’explique par le fait que le changement climatique joue de manière très diverse et complexe sur les particules, ce qui rend les incertitudes sur la modélisation plus importante.
À la lumière de ces simulations, on peut donc conclure que même dans un monde futur à + 2 °C, il est encore possible d’améliorer significativement la qualité de l’air en Europe par rapport à aujourd’hui. La condition nécessaire est que les réglementations visant à la réduction d’émissions des polluants nocifs, prévues jusqu’à 2050, soient effectivement appliquées.
* Virginie Marécal est directrice de recherche au Centre national de recherches météorologiques (Météo-France),
** Béatrice Josse est ingénieur chez Météo-France.