Jusqu’au samedi 2 avril 2016, le saxophoniste qui ébranla la scène du jazz européen d’un free jazz tonitruant, illumine la coquette Galerie Hélène Nougaro, à l’ombre de l’église Saint Séverin, à deux pas du club qui célébra les légendes du jazz, Les Trois Mailletz. Yochko Seffer, musicien, expose les toiles de Yochko, peintre et sculpteur. L’improvisateur n’a jamais couru après la gloire. Pourtant son travail a marqué les esprits. André Francis, doyen de l’Académie du Jazz, expert définitif, écrit ceci dans la préface de la première biographie du Hongrois né en 1939, réfugié en France en 1956 : «un musicien en renouvellement perpétuel, du niveau d’un Portal. Avec des airs aussi bien issus de vieux folklore que de nouvelles audaces… il est le seul musicien qui joue de l’ensemble des saxes et de la flute : c’est tout à fait étonnant.» Le membre de Magma en 1971 et 1972, fondateur de Zao, Perception, Neffesh Music, Yog, se réclame de John Coltrane et de Belà Bartok. Sa musique évolue en permanence. Le dernier CD enchante (Hangosh Ethnic Duo, avec François Causse). La peinture? Hélène Nougaro relève : «ce n’est pas pour ses talents de musicien de jazz que j’ai choisi d’accrocher l’œuvre. Les tableaux présentent mille qualités, mille aspects intéressants». Yochko, épanoui : « je n’observe aucune différence entre peinture et musique. Les couleurs, comme les notes, émettent de la musique. Sur la toile, je vis la création avec le plus grand bonheur. La verticalité qui caractérise chaque tableau surgit de la barre de mesure qui régit la partition. Chaque toile part du figuratif et se poursuit vers l’abstrait. Chacune apporte sa réponse ». Le traitement de chaque sujet par le disciple de Picabia et de Marcel Duchamp détient immanquablement une signification. « La constante explique l’unité de l’oeuvre », selon la galeriste. Que l’on s’attarde sur le portrait de Monk, intitulé KNOM. Sur un fond immaculé, le magnétisme du visage s’anime. La colère du personnage, son exigence, le défi systématique à la logique, le parti-pris d’originalité, ressortent du tableau. Plus loin le tryptique sur John Mc Laughlin, guitariste virtuose parti en tournée avec la fille de Yochko, Deborah, violoniste reconnue, suit une transformation cohérente. Sur un mur, le visage de John Coltrane, comme une métaphore du père, exprime souffrance et sérénité, sur un fond calme, jaune et vert. Coltrane et Bartok : les maîtres.
Aux quatre coins de la galerie HN, les sculptures créent autant d’instruments à vent. « J’ai besoin d’une structure pour la contredire», commente l’artiste à l’assaut du saxo comme à l’assaut du pinceau. Les saxos futuristes fonctionnent. « J’ai ajouté un tuyau PVC, placé des trous, vissé un bec, collé une anche. J’en tire de la musique. Certes primitive et aléatoire. Voire cinglée. Mais inédite ». L’après-midi de clôture de l’accrochage, samedi 2 avril, Seffer père et fille donneront un concert. Impossible d’annoncer le programme. Il tiendra trop du hasard. En revanche, on ne pose aucune réserve sur le haut-niveau de la prestation.
Bruno Pfeiffer
Galerie HN (Hélène Nougaro), 17 rue du Petit Pont, 75004 Paris
CONCERT : Yochko Seffer Quartet, Le Triton, Les Lilas (25 juin 2016)
CD : Yochko Seffer, Hangosh Ethnic Duo avec François Causse – et Didier Malherbe (Acel/ Quart de Lune/ UVM Distribution)
DVD : Yochko Seffer Quartet, Red Mysticum JAZZimuth Collection
LIVRE : Jean-Jacques Leca, Yochko Seffer – Free comme Jazz, EDILIVRE
Copyright Photo Anne-Charlotte Compan pour Libération