«11 Septembre bis»
«Un seul débris ? Ce n’est pas possible. Quand un avion se crashe, on est censé retrouver plusieurs dizaines de morceaux», lance Ghislain Wattrelos. Cet homme de 52 ans, qui a perdu sa femme et deux de ses enfants dans l’avion [quatre Français étaient présents à bord, ndlr], balaye l’idée que la pièce trouvée au Mozambique puisse appartenir au MH370. Parce qu’il «veut savoir pourquoi quelqu’un a décidé de lui enlever sa famille», il a quitté son poste de directeur stratégique au sein du groupe Lafarge il y a deux semaines pour se consacrer à l’enquête. Ce père de famille, persuadé que les autorités «cachent la vérité», a été contacté par des milliers de personnes qui lui proposaient son aide : «Ce sont à 99 % des fous furieux ou des gens qui n’ont aucune compétence.» Ghislain Wattrelos travaille essentiellement avec «cinq à six personnes», experts ou agents secrets, le seul groupe en qui il a confiance. Il dit être aussi contacté par des personnes qui joueraient un double jeu, des espions : «On ne sait jamais s’ils sont avec moi ou pas. Il y a des gens qui cherchent à savoir quelles informations j’ai et ce que je sais.»
Car depuis qu’il s’est constitué partie civile pour forcer l’ouverture d’une information judiciaire en France avec la nomination d’un juge antiterroriste indépendant, Ghislain Wattrelos a accès à des informations confidentielles, et privilégie aujourd’hui la thèse du détournement. Il est persuadé que «quelque chose de jamais vu s’est passé». Selon lui, il y avait dans l’avion des pirates, des passagers ou des membres de l’équipage, qui souhaitaient faire un «11 Septembre bis».
Portrait : Ghislain Wattrelos, vol(é)Ce haut cadre a perdu sa femme et deux de ses enfants dans la disparition toujours inexpliquée du vol de Malaysia Airlines. A lire ici.
Il avance prudemment dans sa démonstration, parce qu’il sait combien la frontière est ténue entre les hypothèses probables, comme celle d’un acte terroriste, et les thèses farfelues qui fleurissent sur Internet. Il évoque l’idée que les Etats-Unis, pour éviter un attentat, auraient pris à distance le contrôle de l’appareil grâce à une technologie secrète et l’auraient dérouté en direction de l’île de Diego Garcia, au sud de l’Inde, qui abrite une puissante base militaire américaine. L’avion aurait été détruit en vol pour dissimuler l’existence de leur technologie. La thèse de Diego Garcia a été popularisée en France par le romancier à succès Marc Dugain dans des articles publiés en 2014. Certains imaginent même que les passagers sont toujours retenus sur l’île.
Xavier Tytelman, membre des «AvGeeks» fait des simulations de vol pour tenter de percer le mystère (Photo. Boris Allin pour Libération)
«Dépressurisation lente »
Mais pour Xavier Tytelman et Gilles Diharce, le scénario Diego Garcia ne tient pas debout. «Plus j’avance et moins j’y crois. Les Américains ont déjà tiré sur un avion iranien en 1988 par erreur [la catastrophe avait fait 290 morts, ndlr], ils n’auraient pas osé recommencer», avance Gilles Diharce. Pour lui, seules trois thèses sont crédibles. Celle d’un incident technique à bord, avec «une dépressurisation lente qui fait perdre connaissance aux passagers et aux pilotes comme lors du vol Helios 522 en Grèce (121 morts)». Celle d’un détournement volontaire par des passagers, «mais pas forcément terroristes, ce peut être des personnes qui demandaient l’asile politique, comme lors du vol 961 d’Ethiopian Airlines en 1996 [125 morts], ce qui expliquerait qu’Interpol n’ait pas trouvé d’antécédents terroristes parmi les passagers». Et celle du suicide ou d’un geste fou d’un pilote, comme pour la compagnie Germanwings en 2015 (150 morts) : «Dans le rapport officiel, le commandant de bord dit “bonne nuit” à la tour de contrôle malaisienne. Puis, alors qu’il devait prendre contact avec le Vietnam, le transpondeur [qui relie l’avion au contrôleur aérien au sol, ndlr] et le système Acars [qui donne des informations techniques sur le moteur ou le fonctionnement général de l’avion] sont coupés une minute plus tard. Ce qui peut rendre suspect le commandant de bord.»
De nouvelles normes pour ne plus perdre les avionsAfin de faciliter les recherches, les futures balises associées aux boîtes noires devraient émettre plus longtemps et à plus grande distance. A lire ici.
Si les autorités malaisiennes ont conclu en janvier 2015 à un accident pour permettre aux familles d’être indemnisées par les assurances, l’enquête est toujours au point mort. Les recherches, dirigées par l’Australie, se poursuivent sur une zone grande comme quatre fois la Belgique (120 000 km2) mais devraient prendre fin en juin. Si les boîtes noires sont retrouvées d’ici là, elles ne livreront de toute façon que l’enregistrement des deux dernières heures du vol, qui a duré au moins sept heures. «On ne saura jamais ce qui s’est véritablement passé», conclut Gilles Diharce.
Texte Cécile Bourgneuf et Gurvan Kristanadjaja
Illustration Emilie Coquard
ProductionLibé SixPlus