Vous n’allez pas croire ce qu’il est arrivé à Henri Pinson ce matin. Un truc de fou ! Une sensation qu’il n’avait jamais connue encore. Le genre qui vous transcende jusqu’au plus profond de votre être, et qui vous donne le vertige quand vous essayez de réaliser. Voilà : Henri a eu une pensée. Enfin, plus exactement, «il avait eu une pensée et l’avait entendue».
Eh, ne rigolez pas ! Vous vous rendez compte de la révolution que ça représente dans la cervelle d’un petit pinson gros comme mon pouce ? Des pensées, Henri en avait tous les matins et tous les soirs. En voyant le Soleil se lever, il comprenait que c’était l’aube et disait «Bonjour» à ses amis les pinsons. En voyant le Soleil se coucher, il en déduisait que c’était le crépuscule et disait «Bonsoir» à sa bande de pinsons. Ça lui venait tout seul, il ne s’en rendait même pas compte. La communauté des pinsons vivait en pilotage automatique.
Mais le jour où Henri a «entendu» sa pensée, tout a changé. Il a découvert qu’il avait des pensées. Il en était devenu conscient. Il en a déduit que cette pensée avait été produite par quelqu’un, en l’occurrence lui. Cogito, ergo sum. Il a donc découvert sa propre existence… «Je suis moi». Combien d’enfants sentent le monde se dérober sous leurs pieds quand ils se retrouvent, au hasard de leur monologue intérieur, nez à nez avec ce genre de révélation ?
Il y a dans Je suis Henri Pinson un bouillonnement de philosophie que l’Ecole des loisirs recommande aux cerveaux de 5 à 7 ans, mais capable de mettre en fusion les méninges de tous les publics plus âgés qui goûtent le plaisir de l’introspection. Une fois sa machine à réfléchir enclenchée, on n’arrête plus Henri Pinson : il se demande comment exploiter ce superpouvoir, se découvre des envies de célébrité, décide de changer le quotidien en attaquant «la Bête» qui le terrorisait jusqu’alors et parvient à manipuler ses pensées de prédateur pour la rendre inoffensive.
Peut-on entendre les pensées d’autrui ? Peut-on les influencer avec nos propres idées ? Les méchants ont-ils de mauvaises pensées, ou ont-ils l’impression d’être gentils ? Sont-ils vraiment méchants quand on essaye d’adopter leur point de vue ? Peut-on comprendre le monde entier en prenant simplement le temps d’y réfléchir ? La réflexion donne-t-elle du courage ? L’intelligence peut-elle nous débarrasser de la peur ? Penser nous rend-il libres ?
Oui, il y a tout ça dans l’album du jeune auteur britannique Alexis Deacon, qui plante en quelques phrases toutes simples des graines de sagesse dans notre esprit. Quant à l’illustratrice Viviane Schwarz, c’est une idée de génie qu’elle a eue en imprimant le corps d’Henri Pinson avec son doigt : «Je voulais que tous les pinsons soient semblables mais que chacun soit unique, donc j’ai utilisé des empreintes digitales, explique-t-elle. Henri est toujours imprimé avec le même doigt, et personne d’autre n’a cette empreinte particulière.» Et pour la bande d’oiseaux, «j’ai récolté les empreintes de tous les amis qui venaient me rendre visite à la maison ou au studio pour en avoir une bonne collection».Protéiforme, son dessin conjugue les délicates empreintes rouges des volatiles et le trait vif de l’encre de chine à la plume, peint l’inquiétante Bête à l’aquarelle, ses entrailles d’après les schémas scientifiques d’une oreille interne et les abîmes de réflexion dans une fulgurante double page sur fond noir. Ça dépote.
Je suis Henri Pinson De Alexis Deacon et Viviane Schwarz, 40 pages, L’école des loisirs, 13,5 euros, 2015.
Camille Gévaudan