Archives mensuelles : janvier 2016

Racisme et antisémitisme : malaise au JDD après un étrange sondage

Petit manuel de crispation identitaire en trois étapes. Prenez la une du Journal du dimanchedaté du 31 janvier, titrée ainsi : «L’enquête qui inquiète : antisémitisme et peur de l’islam au cœur d’une étude Ipsos». Ajoutez quelques tableaux sur les préjugés, les juifs, les musulmans. Mélangez le tout, et vous aurez les ingrédients pour une baston sur les réseaux sociaux, incarnée par ce hashtag «SondeCommeLeJDD».

L’enquête, publiée par l’hebdomadaire, a été commandée à l’Ipsos par la Fondation du judaïsme français, une organisation reconnue d’utilité publique créée en 1974. La méthodologie est inhabituelle : elle se fonde sur trois panels (grand public, personnes se déclarant juives et musulmanes), interrogés entre juillet 2014 et juin 2015. L’objectif, au départ, était de mettre en évidence la perception des juifs et des autres minorités par la population française dans son ensemble. Autre souhait : «Montrer le degré d’angoisse des juifs de France», comme l’explique Brice Teinturier, le directeur général délégué d’Ipsos.

Au fur et à mesure, le champ d’investigation de l’institut s’élargit, pour s’intéresser également à la population «musulmane». Au risque d’alimenter les clichés et un fort sentiment de stigmatisation. Un écueil dont était d’ailleurs tout à fait conscient Ariel Goldmann, le président de la Fondation du judaïsme français. Interrogé par le JDD, il se défendait : «Cette étude n’est ni accusatrice, ni généraliste […]. Elle est destinée à tous ceux qui veulent combattre les préjugés.» A voir…

Qu’en dit Ipsos ?

Brice Teinturier, le directeur général délégué, balaie tout risque de «stigmatisation». Au contraire, il estime que cette étude est «très importante pour faire ressortir les fantasmes» des Français, leurs «mécanismes d’ouverture et de fermeture» aux autres. «Il faut mesurer les choses pour les combattre et les comprendre», poursuit-il, regrettant la «focalisation» des médias sur «une question» parmi soixante autres.

Cette question, c’est celle qui interroge les sondés sur les «problèmes (comportements agressifs, insultes, agressions)» qu’ils ont «personnellement rencontré» avec différents groupes au cours de l’année. Les catégories, proposées par Ipsos, sont les suivantes : personnes d’origine maghrébine, Roms, de confession musulmane, d’origine africaine, de confession catholique, de confession juive, d’origine asiatique. Les réponses positives vont, dans l’ordre, de 29% (pour les Maghrébins) à 2% (pour les Asiatiques).

Outre son flou autour de la notion de «problèmes», la question fait fi des altercations qui auraient pu avoir lieu avec un individu, mais sans que son origine soit forcément en cause. Quid, par exemple, d’insultes échangées avec un chauffeur de taxi «d’origine maghrébine» ? Est-il d’abord chauffeur de taxi ou d’abord Maghrébin ? Teinturier assume : «On pointe des perceptions, pas forcément un phénomène objectif. Cela dit des choses sur ce que ressentent les Français.»

La question provoque également le malaise en raison de l’absence d’une catégorie pour les personnes «blanches». Pour l’Ipsos, il semble que la «confession catholique» suffise à les représenter. Ce qui suscite plusieurs interrogations. Comment «repérer» un individu catholique ? Un Noir ne peut-il être catholique ? Enfin, le sondé qui rencontrerait des «problèmes» avec une personne blanche, sans signe visible de religiosité, n’aurait pas la possibilité d’en rendre compte. Pour Teinturier, encore une fois, c’est voulu : «Il s’agit de mettre en évidence les tensions à l’égard des minorités.»

A ses yeux, il n’y a dans le travail de son institut aucune volonté de grossir le trait des tensions communautaires. Pourtant, la présentation de certains chiffres laisse songeur. Ainsi de cette page titrée «Chez les musulmans, un rejet fort de l’homosexualité, de l’athéisme et de l’exogamie». Si 74% des musulmans interrogés disent qu’ils réagiraient «mal» en cas de mariage d’un de leurs enfants avec une personne de même sexe, la proportion n’est pas aussi forte pour une union avec un ou une athée (48 et 46% de réactions négatives). On pourrait même noter que 71% des musulmans réagiraient bien si leur fils épousait une catholique. Une tolérance que ne partage pas l’ensemble de la population française : 56% des personnes interrogées auraient une réaction négative si leur fille épousait un musulman.

«Il n’y a pas que du rejet dans cette étude», précise Brice Teinturier, qui veut croire qu’une partie des réactions négatives exprimées ce week-end viennent en réalité d’un «sentiment respectable» : «C’est l’idée selon laquelle mesurer les réactions de rejet renforcerait les tensions dans la société.»

Comment a-t-on réagi au sein de l’hebdomadaire ?

Le lundi au JDD, ce n’est pas repos, mais presque : le début de la semaine débute le mardi à 11 heures avec la conférence de rédaction. Alors le Web fait tourner, seul, la boutique. Difficile de prendre la température après la parution du sondage. On note que certains collègues, gênés, l’ont remarqué avant la parution. Un journaliste en colère : «Certains ont commencé à tiquer vendredi. Mais j’ai l’impression que les chefs du print [l’édition papier, ndlr] n’ont pas réellement pris conscience du problème.» Puis : «On n’a eu aucune nouvelles d’eux depuis la publication. Et comme ils ne bossent pas dimanche et lundi, on verra mardi ce qu’ils en disent à la conférence de rédaction.»

Un autre confirme et ajoute : «Ce n’est pas surprenant de la part de la direction, elle décide seule sans consulter l’équipe et n’admet jamais ses erreurs. Et le comble, on n’a pas de société des rédacteurs pour nous couvrir, elle est en réorganisation.»

De son côté, la direction assume. Patrice Trapier, directeur adjoint de la rédaction, argumente : «C’est un sujet très sensible et on n’aurait jamais publié cette enquête sans la garantie de l’Ipsos, un institut sérieux, et la caution des chercheurs. On n’avait aucune arrière-pensée, on voulait montrer les préjugés.» Il ajoute : «En interne, ça a discuté, mais tout a été fait très en transparence. Certains résultats de l’étude ne font pas plaisir, mais c’est surtout la communauté journalistique qui a réagi sur Twitter. Pour moi, il n’y a pas eu d’erreur du JDD.»

Sylvain Mouillard , Rachid Laïreche

Test thérapeutique de Rennes : «pas de faute identifiée» selon le patron de Biotrial

«Nous n’avons pas identifié de faute». C’est ce qu’assure le directeur général de Biotrial,a tourné au drame avec le décès d’un volontaire, dans un entretien au Figaro mis en ligne vendredi soir.

«Pour l’instant, nous n’avons pas identifié de faute (…). . Nous n’avons observé aucun comportement qui ait pu être la cause de ce qui s’est produit», déclare François Peaucelle.

A lire aussi. Test thérapeutique de Rennes : «Un accident rarissime»

Outre le décès d’un homme de 49 ans, l’essai de la molécule a occasionné cinq autres hospitalisations, quatre en raison de troubles neurologiques, et une par précaution. Tous ces volontaires sont rentrés chez eux, indique-t-il en se disant rassuré à leur sujet. Mais il est «trop tôt pour parler de séquelles» car «il est possible qu’il n’y en ait pas», d’après lui.

Les premiers troubles sont apparus au cinquième jour d’administration de 50 mg de la molécule testée «BIA 10-2474» du laboratoire portugais Bial. Une 6e dose a été donnée aux cinq autres volontaires du groupe alors que l’homme de 49 ans était hospitalisé depuis la veille.

«Le volontaire hospitalisé le dimanche 10 janvier présentait ce jour-là des symptômes qui n’alarment pas dans la vie quotidienne, notamment des maux de tête. Mais nous l’avons envoyé aux urgences vers 20 heures pour des explorations complémentaires, à titre de précaution», explique le patron du laboratoire. «Le lendemain, nous administrons le médicament testé aux autres volontaires alors que nous attendions son retour à Biotrial». «Puis, en fin de matinée, on apprend qu’il a fait un AVC, ce qui nous semble assez déconnecté de l’essai clinique. Mais, par mesure de précaution, nous suspendons l’administration du produit, lundi en fin d’après-midi», ajoute-t-il.

Biotrial n’avait, selon lui, aucune raison de prévenir dès le lundi 11 janvier l’agence du médicament ANSM «car le diagnostic d’AVC était éloigné de l’étude menée» et que l’administration du produit avait cessé. «Nous n’avons fait le lien avec l’essai clinique que lorsque d’autres volontaires ont eu eux aussi des troubles, le mercredi matin (13 janvier)», note-t-il. La ministre de la Santé et l’ANSM avaient été informées seulement le jeudi 14 janvier de l’aggravation de l’état de l’homme depuis décédé.

La vraie question, selon le directeur de Biotrial, reste «pourquoi cette molécule, qui n’avait rien produit sur personne (les volontaires précédents de cet essai), a eu d’un seul coup cet effet». Des enquêtes judiciaires et sanitaires sont en cours, dont celle de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), qui doit remettre un pré-rapport en début de semaine prochaine. 

AFP

Le surcoût des produits genrés par Pénélope Bagieu

Le coiffeur

Pratiquement partout, la coupe sur cheveux courts pour une femme coûtera plus cher que pour un homme : 75 euros contre 45 dans la franchise lyonnaise d’un célèbre coiffeur, par exemple.

Le rasoir

Pour un lot de huit rasoirs de même marque, il en coûte 11,95 € à l’homme contre 15,95 € à la femme. Selon une enquête pilotée par la Direction générale de la concurrence, les femmes sont perdantes, quand il s’agit de l’entrée de gamme des grandes marques (1 à 2 euros de différence).

Le déodorant

Ils peuvent coûter jusqu’à trois euros de plus lorsqu’ils contiennent de l’alcool et sont marketés pour les femmes. Sans alcool, la tendance s’inverse : 7 à 12 % moins cher pour les femmes. 

La crème hydratante

«Le surcoût est indéniable pour les femmes», relève l’enquête pilotée par la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes : de 1,17 € à 8,66 euros de plus par produit.

Pot-pourri

Croisés au hasard sur le Tumblr Woman Tax, initié par le collectif Georgette Sand : un allume-feu (rose forcément) «Miss Bic» vendu 4,15 €, contre 3,11 € pour son équivalent «classique» ; de la «Patafix princesse» à 3,40 € contre 2,35 € pour le modèle standard…

Le pressing

Pour une chemise de mec, comptez environ 3,50 €, et, pour un chemisier, 5,90 €. En 2009, la féministe américaine Janet Floyd a fait un test : avec son mari, ils ont apporté à tour de rôle la même chemise au pressing. A elle, il en a coûté 8,75 dollars (8,03 €) ; à lui, 7 dollars (6,42 €).

«Une autre fois sur un autre sujet avec plaisir!»

«Suis loin… Et je suis brouillé avec la montagne… Une autre fois sur un autre sujet avec plaisir! Vous embrasse fort.» Et voilà. Le SMS est tombé. Sans appel. Edouard Baer n’aimait pas la montagne.

On aurait pourtant adorer l’entendre disserter avec son phrasé monocorde, son air décalé et ses mots précis sur les cimes, le froid et la raclette; l’entendre parler du ressaut Hillary, du curling ou des soirées en refuge.

On aurait aimé une anecdote invraisemblable qui l’aurait vu se perdre en pyjama dans la nuit glaciale d’une station de ski en compagnie d’une starlette éméchée, d’un ours en peluche géant ou d’un mouton peint en rose…

Mais bon, Edouard est brouillé avec la montagne… Alors, une autre fois, sur un autre sujet. Avec plaisir.

Nous aussi on l’embrasse.

Fabrice Drouzy

Avec Dorothy Parker, «L’humour, le vrai, ne se démode pas»

Star de la littérature américaine redécouverte à Paris sur la scène du Lucernaire dans une pièce «Excusez-moi pour la poussière», l’inscription qu’elle avait préparée pour sa tombe… Quelle bonne idée de mettre en scène la femme la plus drôle (à mon avis) du XXe siècle.

Dorothy Parker, mon idole. Depuis des années je la cite à tour de pages. Je m’en sers comme antimissile, balançant à mes ennemis ma phrase préférée: «Women and elephants never forget.» Et oui, les femmes et les éléphants n’oublient jamais, c’est vérifié. Remember !

Natalia Dontcheva dans le rôle de Dorothy Parker. DR

Grand-mère spirituelle de Woody Allen, aussi drôle, aussi triste que lui, comme les grands comiques. Pensez à Robin Williams qui fit se tordre la planète et termina en se suicidant avec sa ceinture autour du cou. Dorothy Parker se serait reconnue dans ce jeune Robin Williams, elle qui ne cessait de se suicider en vrai ou au Bourbon. Dans son génial recueil de poèmes (Assez de corde pour me pendre) on trouve son «Resume» ou curriculum vitae en français (si on peut dire), qui explique pourquoi elle s’est toujours ratée:

«Razors pain you; Rivers are damp; Acids stain you; And drugs cause cramp.

Guns are not lawful; Nooses give; Gas smells awful;

You might as well live.»

Sur la petite scène du Lucernaire, Dorothy ressuscite à travers la comédienne Natalia Dontcheva, une incarnation stupéfiante de la Parker, égérie des écrivains américains entre-deux-guerres mondiales. Dans les années 20, déjà célèbre, critique littéraire à Vanity Fair puis au New Yorker, auteur de poèmes, de nouvelles, de scripts hollywoodiens (Une étoile est née) elle se réunissait avec cette génération qui n’avait pas encore fui l’Amérique tous les après-midi pour une Table Ronde à l’Algonquin. Le «cercle vicieux» (Vicious Circle) comme ils se surnommaient.

Elle est drôle, cynique, méchante, passionnée de littérature, de théâtre et de politique. Et un grand écrivain même si elle n’a laissé que de petites nouvelles et critiques, pas d’œuvre magistrale comme ses amis Scott Fitzgerald, Hemingway, Dos Passos, Faulkner… De l’humour à petites touches reconnu par des prix littéraires.

Très moderne, subversive, elle ironise sur l’amour, le couple, la famille, la mondanité, la superficialité, le racisme… tout en parlant d’elle-même. Le mariage? Elle le pratique trois fois, dont deux avec le même homme, Alan Campbell. Elle raconte ce deuxième mariage à son amie Lilian Hellman (auteur de La femme inachevée et femme de Dashiell Hammett): «Le mariage était très réussi, dit-elle, il y avait plein de gens qui ne s’étaient pas adressé la parole depuis des années, en particulier le marié et la mariée.»

La pièce écrite par Jean-Luc Seigle et mise en scène par Arnaud Sélignac démarre sur ce deuxième mariage de Dorothy Parker en pleine crise, accrochée à sa bouteille, mais toujours en vison et collier de perles, aussi drôle quand elle parle de ses mésaventures que quand elle décrit le quotidien de son anti-modèle: la femme d’intérieur.

Féministe, intellectuelle engagée comme ses amis Hammett et Hellman, elle est aussi convoquée dans les années 50 par la fameuse commission Mccarthy (House Un-American Activities Committee) qui chasse les sorcières communistes en pleine guerre froide. Surtout à Hollywood. Elle s’habille en rouge, bien sûr, pour son interrogatoire par le sénateur McCarthy et ses sbires anticommunistes.

«L’humour, le vrai, ne se démode pas» disait d’elle l’écrivain Somerset Maugham, cité par Benoîte Groult qui, la première, a prêté sa plume à la traduction de ses nouvelles (La vie à deux). Sur scène, en ce mois de janvier 2016, la Dorothy Parker n’a pas perdu de sa brillance ni de sa séduction hystérique. On rit avec cette Américaine du temps passé. Et on l’aime toujours.

Annette

Voir la vidéo du Lucernaire

La Station spatiale internationale dans les anneaux de Saturne

L’Allemand Julian Wessel a acheté son premier télescope à 18 ans, explique-t-il sur son site. Des heures et des heures d’entraînement en ont fait un expert en astrophotographie et, récemment, il s’est payé le luxe d’immortaliser le passage de la Station spatiale internationale (ISS) devant Saturne.

Pour mesurer l’exploit, il faut savoir que l’ISS voyage à 27 000 km/h. Il s’agit donc non seulement de trouver l’endroit exact d’où prendre la photo (enfin, la vidéo) pour que la minuscule station spatiale passe exactement devant la minuscule planète aux anneaux mais, en plus, d’enregistrer la fraction de seconde où les deux objets sont superposés.

Heureusement, le matin du 15 janvier, «la météo annoncée, changeante, s’est éclaircie juste au bon moment, et j’ai bénéficié d’une des meilleures conditions d’observation jamais vues». Une étude préalable du trajet de l’ISS sur le site Calsky lui a permis d’avoir une carte et une estimation précise de son passage devant Saturne – on appelle cela un transit.

Pour voir et photographier l’événement, il lui a fallu se rendre à 40 kilomètres au nord de son domicile et installer le télescope dans une bande de 40 mètres de large.

Précédemment, Julian Wessel a déjà réussi à photographier l’ISS devant Jupiter et devant la Lune. Plus facile, mais tout aussi impressionnant.

Photo Julian Wessel

Camille Gévaudan

David Blatt et Steve Kerr, chassé-croisé sur les bancs de NBA

Le All Star Game a lieu dans moins de trois semaines et sa préparation illustre les trajectoires opposées des deux derniers finalistes, les Warriors et les Cavaliers. Les équipes de l’Ouest et de l’Est sont coachées par les entraîneurs des leaders des deux conférences au 31 janvier.

Pour l’instant, les Warriors et les Cavs. Or, le premier, Steve Kerr, qui jouait son premier match de la saison ce samedi, ne peut pas être sélectionné car il l’était déjà l’an dernier. La NBA réfléchit encore pour savoir si Luke Walton, entraîneur de Golden State par intérim depuis le début de la saison, peut être coach de l’Ouest. Sinon, ce sera Gregg Popovich, entraîneur des Spurs, deuxièmes. Chez les Cavs, David Blatt a été viré vendredi soir. C’est donc Tyronn Lue qui devrait être coach de l’Est. Une dizaine de rencontres pour se préparer au dernier All Star Game de Kobe Bryant ne sera pas de trop. Retour sur les ambiances opposées sur les bancs des leaders.

David Blatt ne pouvait lutter contre LeBron James

Les défaites contre les Spurs puis les Warriors, mardi, lors du Martin Luther King Day, ont donc été fatales à David Blatt, l’entraîneur des Cavs. Vendredi soir, le manager général de l’équipe, David Griffin, a convoqué son vestiaire pour une réunion extraordinaire. Vu les prestations de Kevin Love, certains pensaient plus à une annonce du départ de l’ancien joueur des Wolves, selon Brian Windhorst d’ESPN. Il n’en était rien : l’entraîneur américano-isréalien était la cible. D’après le célèbre journaliste sportif Peter Vecsey, David Blatt avait senti l’affaire et aurait confié la semaine dernière à des amis : «C’est moi ou Kevin Love.»

Un an et demi après son arrivée, Blatt plie donc bagage, avec un bilan plus que flatteur : en finale NBA pour sa première saison et le sixième meilleur bilan de victoires de l’histoire de la NBA (pour un minimun de 100 matchs). Même si nous notions sur Libération jeudi des problèmes tactiques et d’équilibre général dans l’équipe, la décision surprend, tant les problèmes chez les Cavs sont globaux et, surtout, relatifs : largement premiers à l’est, vice-champions, on est loin d’un bilan d’équipe en crise. «Je suis gêné pour la NBA que quelque chose comme cela arrive», a expliqué ce samedi Rick Carlisle, coach des Dallas Mavericks et président du syndicat des entraîneurs de la ligue, rappelant que David Blatt a tout gagné en Europe : l’Euro avec la Russie en 2007 et l’EuroLeague avec le Maccabi Tel Aviv en 2014.

Mais, afin d’anticiper ce que tout le monde sait et voit, David Griffin a expliqué que LeBron James a appris la nouvelle en même temps que tout le monde. Le «King» est le maître exécutif de la franchise, peut-être au même niveau que le propriétaire des Cavs, Dan Gilbert. Croire qu’il n’a pas été au courant de ce licenciement avant son officialisation relève du mensonge éhonté. Ou d’une interprétation des faits. L’été dernier, LeBron James avait poussé pour le départ de David Blatt au profit de Tyrionn Lue. Ce dernier, dont on savait qu’il était le vrai référent du King sur le banc, a justement été nommé coach à la place de Blatt, et pas seulement par intérim. LeBron James a donc obtenu ce qu’il voulait, qu’il l’ait demandé encore une fois vendredi ou non, comme il a obtenu la signature de Kevin Love et le départ d’Andrew Wiggins ainsi que le retour de Mo Williams et la reconduction du contrat de Tristan Thompson. Si les Cavs ne sont pas champions, qui d’autre que lui pourra-t-il blâmer ?

Steve Kerr, atterrissage sans turbulences

De l’autre côté des Etats-Unis, autre ambiance. Dans le match Golden State Warriors-Indiana Pacers, c’est à un retour sur le banc, avec le sourire, auquel on a eu droit. Steve Kerr, entraîneur des Golden State Warriors lui aussi depuis l’an dernier, n’était plus apparu dans l’Oracle Arena depuis juin, lors des finales NBA. La faute à de gros soucis de santé. Luke Walton avait assuré l’intérim. Et de la plus belle des manières, puisqu’il a battu le record du meilleur départ en NBA (24 victoires pour aucune défaite) et termine sa session avec un 40-4. «Luke a fait un travail phénoménal, expliquait Draymond Green avant la rencontre de ce samedi.  Il a tenu la barraque et c’est super pour lui d’avoir eu cette opportunité. Maintenant, j’ai juste à profiter de ces quatre prochains mois et demi avec lui car je sais que tous les managers généraux de NBA vont frapper à sa porte à la fin de la saison.»

Avec la même sérénité qui accompagnait sa démarche et son visage l’an dernier, Steve Kerr s’est donc de nouveau posé sur le banc des champions en titre, leaders incontestés de la NBA. «C’était dur, a expliqué Steve Kerr, revenant sur les épreuves qu’il a endurées. Un moment difficile à vivre. Mais c’est la vie. Une minute, vous tenez un trophée et la minute d’après, vous êtes à l’hôpital. Tout le monde peut vivre des expériences comme celle-là. Peu importe votre travail, vous avez des hauts et des bas avec votre santé, de grandes joies et de grandes peines aussi. Cela fait partie de la vie et vous avez juste à vous battre pour revenir là où vous vouliez être. C’est ce que je viens de vivre aujourd’hui.»  Et, face aux Pacers, Stephen Curry lui a offert le match de rêve pour son retour. 39 points et encore 8 paniers à trois points (record de l’histoire en NBA déjà battu à mi-saison), dont un panier de son camp au buzzer du 2quart-temps. Au buzzer du 1er quart-temps, il en avait inscrit un d’encore plus loin, mais une seconde trop tard.

 

Steve Kerr s’est rappelé de matchs vus pendant sa convalescence et de moments où les Warriors étaient en difficulté avec leurs offensives : «Je pensais “temps mort” et alors Steph a juste dribblé et mis un trois points. Luke [Walton] et moi parlions de cela après : “As-tu appelé un temps mort ou pas ?” Avec la plupart des équipes, tu en appelles un de vingt secondes quand tu galères avec tes attaques. Mais, avec nous, des fois, notre meilleure attaque se résume à donner la balle à Steph et faire un écran sur la ligne des trois points ou bien pour qu’il parte en pénétration et qu’il tire. Nous avons l’air de marquer souvent quand on se dit “Oublie le temps mort”.» Et le souvenir de sa réaction après l’un des plus beaux paniers de l’an dernier du MVP 2015 resurgit. Mardi, les Warriors accueillent les Spurs. Le choc entre les deux principaux favoris au sacre final. Un duel tactique entre Gregg Popovich et Steve Kerr, entre deux visions du basket-ball.

Damien Dole

Logements sociaux : une enquête ouverte pour «provocation à la discrimination» par des élus FN

Un juge d’instruction de Nanterre a été saisi d’une enquête pour «provocation à la discrimination» dans l’attribution de logements sociaux. Deux plaintes avaient été déposées contre X, en mai 2014 et mars 2015, par La Maison des potes, un réseau d’associations spécialisées dans la lutte contre les discriminations.

L’association met en cause «les personnes qui ont publié» le «Petit guide pratique de l’élu municipal Front national», estimant qu’il «incite» les élus FN à «mettre en place la discrimination dans l’accès au logement social en réservant la priorité» aux Français. Dans ce guide de recommandations édité avant les municipales 2014 et rédigé par le secrétariat national aux élus, le FN exhorte ses futurs élus à «réclamer l’application des nombreux points du programme Front national» et notamment la «priorité nationale dans l’accès aux logements sociaux». Il a été préfacé par Steeve Briois, alors secrétaire général du parti pendant la campagne.

«Nous souhaitons que toutes les personnes responsables des formulations de ce guide soient entendues par un juge d’instruction et éventuellement poursuivies», a indiqué l’avocat de la Maison des Potes, MLéon-Lef Forster, regrettant que «des poursuites ne soient pas suffisamment entamées en France sur la base de loi contre les discriminations».

«Ainsi, un parti politique ne pourrait plus enjoindre ses élus à promouvoir des propositions politiques au motif que celles-ci seraient interdites par la loi», a réagi le Front national dans un communiqué, dénonçant «une dérive très inquiétante du pouvoir».

Dans un sondage Harris Interactive pour la Maison des Potes rendu public mercredi et réalisé sur un échantillon de 1 050 personnes en France, 75% des interrogés se disent favorables aux recours collectifs en justice (class actions) pour les victimes de discriminations liées à l’origine, la couleur de peau ou la religion.

AFP

Agression de pompiers à Ajaccio : un homme mis en examen

Un homme a été mis en examen lundi à Ajaccio pour association de malfaiteurs dans le cadre de l’enquête sur un guet-apens tendu à des pompiers le soir du 24 décembre. Cet homme de 27 ans, connu de la police pour divers faits de délinquance, avait été interpellé lundi avec l’un de ses frères dans le quartier des Jardins de l’Empereur, sur les hauteurs d’Ajaccio, où s’étaient déroulés les incidents. Son frère, âgé de 23 ans, et également connu de la police, a été relâché, mais deux autres habitants des Jardins de l’Empereur étaient toujours en garde à vue mercredi.

AFP

George Soros : «C’est rien moins que la survie de l’Europe qui est en jeu»

L’entretien qui suit entre George Soros, philanthrope, et Gregor Peter Schmitz, journaliste allemand et unique interlocuteur de l’ex-financier, est paru initialement dans la New York Review of Books. 

Time a légendé sa couverture présentant un portrait d’Angela Merkel «chancelière du monde libre». Cela vous semble-t-il justifié ?

Oui. Comme vous le savez, je me suis montré critique envers la chancelière par le passé et je reste très réservé à l’égard de sa politique d’austérité. Cependant, suite à l’attaque de l’Ukraine par le président russe, Vladimir Poutine, elle est devenue le chef de l’Union européenne et, à ce titre, indirectement, du «monde libre». Jusque-là, il s’agissait d’une femme politique douée, qui savait décrypter l’opinion publique et répondre à ses besoins. Mais, en résistant à l’agression russe, elle a acquis une stature de meneur qui a su prendre des risques en s’opposant à l’opinion dominante.

Elle était peut-être encore plus clairvoyante en admettant que la crise des migrants pouvait détruire l’Union européenne, premièrement, en faisant exploser le système Schengen d’ouverture des frontières et, deuxièmement, en sapant le marché commun. Elle a pris une initiative courageuse pour changer l’attitude des populations. Malheureusement, son plan n’était pas assez bien préparé. La crise est loin d’être résolue et son rôle dominant (non seulement en Europe, mais même en Allemagne et au sein de son propre parti) est actuellement remis en question.

Merkel s’était montrée jusque-là extrêmement prudente et mesurée. Les gens pouvaient lui faire confiance. Mais, avec la crise des migrants, elle a agi de manière impulsive et a pris un gros risque. Son style de commandement a changé, ce qui met la population mal à l’aise.

C’est vrai, mais je me réjouis de ce changement. Les raisons d’être mal à l’aise ne manquent pas. Comme elle l’avait bien prévu, l’Union européenne est au bord du gouffre. La crise grecque a enseigné aux instances européennes l’art de se sortir vaille que vaille d’une crise à l’autre. C’est ce que l’on appelle repousser sans cesse le problème à demain, en espérant qu’il va se résoudre tout seul, mais il serait plus approprié ici d’utiliser l’image du rocher sans cesse repoussé vers le haut de la montagne et qui ne cesse de retomber. Aujourd’hui, l’UE doit faire face non seulement à une, mais à cinq ou six crises en même temps.

Plus précisément, faites-vous référence à la Grèce, à la Russie, à l’Ukraine, au prochain référendum britannique et à la crise des migrants ?

Oui. Et encore, vous n’avez même pas mentionné la cause profonde de la crise des migrants, à savoir le conflit syrien, ni l’effet déplorable sur l’opinion publique européenne des attentats terroristes à Paris et ailleurs. Angela Merkel avait bien prévu que la crise des migrants risquait de désintégrer l’Union européenne. Ce qui était une prédiction est devenu une réalité. L’Union européenne a un besoin criant de réparer ses dysfonctionnements.

C’est un fait, mais il n’est pas inéluctable. Et il s’avère que ceux qui peuvent empêcher ce triste présage de se réaliser sont précisément les Allemands. Je pense que, sous le gouvernement de Merkel, les Allemands ont acquis une certaine hégémonie, mais sans avoir à fournir beaucoup d’efforts. D’ordinaire, ceux qui parviennent à une telle position y arrivent certes en se préoccupant de leurs propres intérêts, mais également de ceux qu’ils ont sous leur protection. Aujourd’hui, les Allemands doivent se décider : veulent-ils faire face aux responsabilités qui leur incombent en tant que puissance dominante d’Europe ?

Diriez-vous que la prise en main des opérations par Angela Merkel dans la crise des réfugiés est différente de son autorité dans la crise de l’euro ? Pensez-vous qu’elle désirerait davantage devenir une sorte de «dominateur de bonne volonté» ?

Ce serait trop lui demander. Je n’ai aucune raison d’abandonner ma vision critique de sa conduite de la crise de l’euro. L’Europe aurait pu faire usage bien plus tôt du type de prééminence que la chancelière affiche aujourd’hui. On peut regretter que, au moment de la faillite de Lehman Brothers en 2008, elle n’ait pas souhaité garantir le sauvetage du système bancaire européen à l’échelle de tout le continent, parce qu’elle estimait que l’opinion publique allemande majoritaire de l’époque ne serait pas d’accord. Si elle avait essayé de changer l’opinion publique au lieu de la suivre, la tragédie de l’Union européenne aurait pu être évitée.

Mais elle ne serait pas restée chancelière pendant dix ans…

Vous avez raison. Elle savait très bien comment répondre aux besoins et aux aspirations d’une large frange de la population allemande. Elle avait le soutien à la fois de ceux qui aspiraient à devenir de bons Européens et de ceux qui attendaient d’elle qu’elle protège les intérêts nationaux de l’Allemagne. Ce n’était pas une mince affaire, et elle a été réélue avec une majorité encore plus forte. Toutefois, dans le cas des migrants, elle a agi selon des principes et s’est montrée prête à risquer sa suprématie. Elle mérite le soutien de ceux qui partagent ses principes.

Je parle ici pour moi : je suis très attaché aux valeurs et aux principes d’une société ouverte du fait de ma propre histoire de survivant de l’holocauste en tant que Juif sous l’occupation nazie de la Hongrie. Et je crois que Merkel partage ces valeurs à cause de son histoire personnelle : elle a grandi sous le joug communiste en Allemagne de l’Est, sous l’influence d’un père pasteur. C’est pourquoi je suis de son côté, même si nous en sommes en désaccord sur un certain nombre de points importants.

Vous qui vous êtes tellement impliqué en faveur des principes d’une société ouverte et du changement démocratique en Europe, pourquoi pensez-vous que les réfugiés y fassent l’objet d’un tel rejet et d’une telle animosité ?

Parce que les principes d’une société ouverte ne sont pas solidement ancrés dans cette partie du monde. Le Premier ministre hongrois, Viktor Orbán, se fait le chantre des principes de l’identité hongroise et chrétienne. Associer identité nationale et religion donne un mélange puissant. Et Orbán n’est pas le seul. Le chef du parti [les conservateurs souverainistes du PiS, ndlr] qui a récemment remporté les élections en Pologne, Jarosław Kaczynski, suit une approche similaire. Il n’est pas aussi intelligent qu’Orbán, mais c’est un homme politique rusé et il a fait de l’immigration le thème central de sa campagne. La Pologne fait partie des pays les plus homogènes d’Europe sur les plans ethnique et religieux. Un immigrant musulman en Pologne représente l’«autre» personnifié. Et Kaczynski a réussi à lui donner les traits du diable.

Plus généralement, comment voyez-vous la situation politique en Pologne et en Hongrie ?

Bien que Kaczynski et Orbán soient deux hommes très différents, les régimes qu’ils souhaitent mettre en place sont très proches. Comme je l’ai laissé entendre, ils cherchent à mettre à profit un mélange de nationalisme ethnique et religieux afin de se maintenir au pouvoir. Dans un sens, ils essaient de restaurer le genre de simulacre de démocratie qui existait entre les deux guerres mondiales dans la Hongrie de l’amiral Horthy et dans la Pologne du maréchal Pilsudski. Une fois au pouvoir, ils tendent à s’emparer de certaines institutions démocratiques qui sont et devraient être autonomes, qu’il s’agisse de la banque centrale ou de la Cour constitutionnelle. Orbán l’a déjà fait ; Kaczynski commence seulement maintenant. Ils seront difficiles à déloger.

En plus de tous ses autres ennuis, l’Allemagne va avoir un problème polonais. Contrairement à la Hongrie, la Pologne s’est révélée l’un des pays les plus florissants d’Europe, tant économiquement que politiquement. L’Allemagne a besoin d’elle pour se protéger contre la Russie. La Russie de Poutine et la Pologne de Kaczynski se regardent en chiens de faïence, mais elles sont encore plus hostiles aux principes fondateurs de l’Union européenne.

Quels sont ces principes ?

J’ai toujours considéré l’UE comme l’incarnation des principes d’une société ouverte. Il y a un quart de siècle, quand j’ai commencé à m’intéresser activement à cette région du monde, vous aviez une Union soviétique moribonde et une Union européenne émergente. Et, notons-le, toutes deux représentaient de vraies aventures d’administration internationale : la première tentait d’unir les prolétaires de tous les pays et l’UE cherchait à mettre en place un modèle d’intégration régionale fondée sur les principes d’une société ouverte.

En quoi la situation est-elle différente aujourd’hui ?

L’Union soviétique a été remplacée par une Russie renaissante et l’Union européenne a finalement cédé à la domination des forces nationalistes. La société ouverte dans laquelle nous croyons, Angela Merkel et moi-même, du fait de notre histoire personnelle, et que les réformateurs de la Nouvelle Ukraine veulent rejoindre du fait de leur histoire à eux, n’existe pas vraiment. L’Union européenne avait été conçue comme une association volontaire d’égaux, mais la crise de l’euro l’a transformée en une relation entre débiteurs et créanciers, dans laquelle les premiers ont du mal à honorer leurs engagements et subissent les règles du jeu fixées par les seconds. Cette relation n’est ni volontaire ni équitable. La crise des migrants a créé d’autres fêlures. De ce fait, c’est rien moins que la survie de l’Europe qui est en jeu.

Vous soulevez un point intéressant, parce que je me rappelle que vous vous êtes montré très critique envers Angela Merkel il y a deux ans, lui reprochant d’être trop préoccupée des intérêts de ses électeurs et de mettre en place une hégémonie allemande à moindres frais. Aujourd’hui, elle a vraiment changé d’orientation sur la question de l’immigration et ouvert tout grand sa porte aux réfugiés syriens. Suivant ce modèle, les autorités européennes ont mis sur pied une politique d’asile aux ambitions généreuses, visant à accueillir jusqu’à un million de personnes par an pendant plusieurs années, sans préciser combien. On pourrait s’attendre à ce que les réfugiés répondant aux critères d’admission restent où ils sont jusqu’à ce que leur tour arrive…

Mais, en Europe, nous n’avons pas de politique de l’asile. Les autorités européennes doivent en assumer la responsabilité. L’afflux croissant de réfugiés est passé d’un problème tout à fait gérable à une crise politique aiguë. Chaque Etat membre s’est égoïstement centré sur ses propres intérêts, agissant souvent à l’encontre des autres. Cette attitude a semé la panique parmi les demandeurs d’asile, mais aussi dans la population en général et chez les instances responsables du maintien de l’ordre. Les demandeurs d’asile en sont à ce jour les principales victimes. Mais vous avez raison. On doit reconnaître à Angela Merkel le mérite d’avoir rendu possible une politique européenne d’accueil des réfugiés.

L’UE a besoin d’un plan complet de réaction à la crise, un plan qui réaffirmerait un gouvernement actif face aux flux de demandeurs d’asile, de manière à ce qu’ils arrivent en bon ordre et en toute sécurité, à un rythme qui corresponde aux capacités d’absorption de l’Europe. Pour être complet, ce plan doit s’étendre au-delà des frontières européennes. En effet, il est moins perturbant, et beaucoup moins cher, pour les demandeurs d’asile potentiels de rester dans leur région d’origine ou du moins de ne pas trop s’en éloigner.

Ma fondation a élaboré un plan en six points sur cette base, qu’elle a annoncé au moment même où Orbán présentait le sien. Cependant, ces deux plans en six points sont diamétralement opposés. Celui d’Orbán a été conçu pour protéger les frontières nationales contre les demandeurs d’asile. Nous n’avons cessé de nous opposer depuis, Orbán m’accusant de détruire la culture nationale hongroise en inondant le pays de réfugiés musulmans. Paradoxalement, notre plan laisserait les demandeurs d’asile qualifiés là où ils se trouvent en ce moment et prévoirait d’y installer des équipements. Ce sont des politiques comme celle d’Orbán qui incitent les réfugiés à se précipiter en Europe tant que les portes y sont encore ouvertes.

Pourriez-vous clarifier ce paradoxe ? En quoi votre plan empêcherait-il les réfugiés de déferler sur l’Europe ?

Nous préconisons la mise en place d’une politique européenne commune du droit d’asile, qui imposerait un contrôle aux frontières de l’Union plutôt qu’aux frontières nationales, et qui permettrait aux demandeurs d’asile d’atteindre l’Europe dans l’ordre et en toute sécurité, à un rythme conforme aux capacités d’absorption de ces populations par l’UE. A l’inverse, Orbán veut refouler les migrants aux frontières nationales.

Et qui sort gagnant de cette opposition ?

En Hongrie, il a gagné haut la main. Il est plus perturbant de constater qu’il est également en train de gagner en Europe. Il remet en cause Angela Merkel en tant que chef de l’Union. En septembre, il a lancé sa campagne lors de la conférence de l’Union sociale-chrétienne, la CSU bavaroise [parti allié à l’Union démocrate-chrétienne, la CDU de Merkel, ndlr], de mèche avec Horst Seehofer, le président de la CSU, et il représente un vrai défi, en attaquant les valeurs et les principes sur lesquels l’Union européenne a été fondée. Orbán les assaille de l’intérieur, Poutine, de l’extérieur. Tous deux essaient de renverser la situation de subordination de la souveraineté nationale à un ordre européen supranational.

Poutine va encore plus loin : il veut remplacer l’Etat de droit par la force et, ce faisant, rappelle une époque révolue. Heureusement, Angela Merkel a pris la menace au sérieux. Elle riposte, et je suis de son côté, non seulement par les mots, mais aussi par les actes. Mes fondations ne se contentent pas d’émettre des recommandations, elles cherchent à apporter une contribution positive sur le terrain. Nous avons créé une fondation en Grèce, Solidarity Now, en 2013. Il ne faisait pas de doute pour nous que la Grèce, dans l’état d’appauvrissement qui était le sien, aurait du mal à faire face au grand nombre de réfugiés bloqués sur son territoire.

Où allez-vous trouver l’argent pour financer votre plan ?

L’UE ne peut pas financer de telles dépenses sur son budget courant. En revanche, elle pourrait lever les fonds nécessaires en émettant des obligations à long terme en puisant dans sa capacité d’emprunt AAA, qui reste largement disponible. La charge de l’intérêt des obligations pourrait être équitablement distribuée entre les Etats membres qui acceptent des réfugiés et ceux qui les refusent ou qui imposent des restrictions spéciales. Comme vous vous en doutez, c’est là que mon opinion diffère encore de celle de la chancelière Merkel.

Vous avez abandonné la gestion de votre fonds spéculatif et consacrez à présent toute votre énergie à votre fondation. Quels sont vos principaux projets ?

Ils sont trop nombreux pour les citer tous. En effet, nous sommes impliqués dans la plupart des sujets d’actualité politiques et sociaux du monde. Je mettrais toutefois en avant l’Inet (Institut de la nouvelle pensée économique) et la CEU (Université d’Europe centrale) à cause de la révolution à l’œuvre en ce moment dans les sciences sociales et parce que je suis profondément engagé dans ces deux projets, aussi bien personnellement qu’à travers ma fondation. Grâce aux sciences naturelles, l’humanité a réussi à maîtriser les forces de la nature, mais notre capacité à nous maîtriser nous-mêmes n’a pas progressé aussi vite que la biologie. Nous avons les moyens de détruire notre civilisation, et nous sommes bien partis pour y arriver.

Vous ne donnez pas là une vision optimiste de l’avenir…

Elle est biaisée et ce, volontairement. Admettre l’existence d’un problème est une invitation à essayer de le résoudre. Voilà la première leçon que j’ai tirée de mon expérience de la vie, en 1944, lorsque les nazis occupaient la Hongrie. Je n’aurais peut-être pas survécu si mon père n’avait pas réussi à se procurer de faux papiers d’identité pour sa famille (et pour beaucoup d’autres personnes). Il m’a appris qu’il valait mille fois mieux faire face à la dure réalité que fermer les yeux pour ne pas la voir. Une fois que vous êtes conscient du danger, vos chances de survie sont bien supérieures si vous prenez des risques au lieu de suivre docilement le mouvement. C’est pourquoi je me suis entraîné à examiner le côté sombre des choses. Cela m’a bien servi sur les marchés financiers et, aujourd’hui, je m’en sers dans mon activité de philanthropie politique. Tant que je peux trouver une stratégie gagnante, même si ses chances sont minces, je n’abandonne pas. Il fait toujours plus noir avant l’aurore.

Quelle est votre stratégie gagnante pour la Grèce ?

A vrai dire, je n’en ai pas. La question grecque a été mal traitée depuis le début. Lorsque la crise grecque a émergé vers fin 2009, l’UE, l’Allemagne en tête, est venue à son secours, mais elle a imposé des taux d’intérêt punitifs pour le prêt qu’elle offrait. C’est pourquoi la dette nationale grecque est devenue insoutenable. Et la même erreur s’est répétée lors des dernières négociations. L’Union voulait punir le Premier ministre, Aléxis Tsípras, et surtout son ancien ministre des Finances Yanis Varoufakis tout en n’ayant pas d’autre choix que d’éviter tout défaut de paiement de la Grèce. De ce fait, l’UE a imposé des conditions qui plongeront encore plus profondément la Grèce dans la récession.

La Grèce est-elle un pays intéressant pour les investisseurs privés ?

Pas tant qu’elle restera dans la zone euro. Avec la monnaie unique, le pays n’a aucune chance de prospérer, à cause d’un taux de change trop élevé pour être compétitif.

Etes-vous préoccupé par le fait qu’au milieu de toutes ces crises, un important Etat membre tel que le Royaume-Uni envisage de quitter l’Union européenne ?

Je suis très préoccupé. Je suis convaincu que le Royaume-Uni devrait rester dans l’Europe, non seulement pour des raisons économiques mais, plus encore, politiques. Une Union européenne sans l’Angleterre serait considérablement affaiblie.

Pourtant, les sondages montrent que les Britanniques sont favorables à un Brexit, la sortie de leur pays de l’UE…

La campagne en faveur du Brexit a délibérément induit la population en erreur. Aujourd’hui, le Royaume-Uni jouit de la meilleure situation possible au sein de l’Europe : il peut accéder au marché commun, où vont près de la moitié de ses exportations, sans le fardeau que suppose l’appartenance à la zone euro.

Pourquoi le milieu britannique des affaires n’est-il plus unanime à propos des inconvénients d’un Brexit ?

Les dirigeants des multinationales qui ont installé leurs capacités de production au Royaume-Uni comme une porte d’entrée dans le marché commun sont réticents à admettre publiquement leur opposition au Brexit parce qu’ils ne veulent pas s’empêtrer dans un débat politique, sachant que leurs clients pourraient avoir une opinion différente. Mais si vous leur demandez en privé, comme je l’ai fait, ils vous le confirmeront sans hésiter.

La campagne pour le Brexit a tenté de convaincre l’opinion publique britannique qu’il était plus sûr de rester en dehors du marché commun qu’à l’intérieur. Ses organisateurs ont le champ libre, le gouvernement préférant donner l’impression qu’il continue de batailler pour obtenir les meilleures conditions.

Pendant longtemps, l’Europe et le monde pouvaient compter sur la Chine comme moteur de croissance et de crédit.

La Chine reste le pays historiquement le plus important. Elle détient toujours de très vastes réserves de change.

Qui la protégeront ?

La Chine est en train d’épuiser ses réserves à un rythme très soutenu. Elle dispose également d’un réservoir de confiance incroyablement important auprès de sa population : beaucoup de Chinois ne comprennent pas comment leur régime fonctionne, mais ils estiment qu’un régime qui a réussi à surmonter autant de difficultés sait ce qu’il fait. Cependant, ce réservoir de confiance s’épuise, lui aussi, à un rythme très rapide, à cause des nombreuses erreurs commises par les dirigeants chinois. Le président, Xi Jinping, pourra poursuivre sa politique actuelle pendant encore trois ans mais, dans l’intervalle, la Chine exercera une influence négative sur le reste du monde en renforçant les tendances déflationnistes déjà à l’œuvre. La Chine n’a jamais représenté une si large part de l’économie mondiale et les problèmes qu’elle doit affronter n’ont jamais été aussi inextricables.

Le président chinois pourra-t-il se montrer à la hauteur du défi ?

L’approche de Xi Jinping souffre d’une faille fondamentale. Il a pris le contrôle direct de l’économie et de la sécurité du pays. La Chine et le reste du monde auraient tout intérêt à ce qu’il réussisse avec une solution axée sur le marché. Or, cela n’est pas possible sans changements politiques. Vous ne pouvez pas lutter contre la corruption si les médias ne sont pas indépendants. Et ça, Xi n’en veut pas. Sur ce point, il est plus proche de la Russie de Poutine que de notre idéal de société ouverte.

Quelle est votre opinion sur la situation en Ukraine ?

L’Ukraine a réussi l’exploit quasiment impossible de survivre pendant deux ans face à autant d’ennemis. Mais elle est épuisée et a besoin de beaucoup plus d’aide extérieure. En imposant à l’Ukraine de très dures contraintes financières, l’Europe répète l’erreur déjà commise avec la Grèce. Si la vieille Ukraine avait beaucoup de points communs avec l’ancienne Grèce (domination des oligarques et utilisation du service public par des gens qui tiraient parti de leur statut au lieu de servir le peuple), la nouvelle Ukraine veut se positionner précisément à l’opposé. Le Conseil suprême ukrainien, la Rada, a récemment voté pour 2016 un budget conforme aux conditions imposées par le FMI. Le moment est venu aujourd’hui de laisser entrevoir la perspective d’une aide financière, dont la nouvelle Ukraine a besoin pour des réformes radicales. Cela permettrait non seulement au pays de survivre, mais également de prospérer et d’attirer les investissements. Refaire de la nouvelle Ukraine ce qu’elle était avant serait une erreur fatale, parce que cette nouvelle Ukraine est l’un des actifs les plus précieux de l’Europe, à la fois pour résister à l’agression russe et pour retrouver l’esprit de solidarité qui caractérisait l’Union européenne des premiers temps.

Beaucoup d’observateurs accusent le président américain, Barack Obama, d’être trop faible face à la Russie…

Ils ont raison. Poutine est un tacticien de très haute volée qui est entré dans le conflit syrien parce qu’il y voyait une occasion pour la Russie d’améliorer son statut international. Il était prêt à continuer d’avancer jusqu’à ce qu’il rencontre une résistance sérieuse. Le président Obama aurait dû lui tenir tête plus tôt. S’il avait déclaré l’instauration d’une zone d’exclusion aérienne au-dessus de la Syrie lorsque la Russie avait commencé à livrer du matériel militaire à grande échelle, celle-ci aurait été obligée de respecter l’interdiction. Mais Obama cherchait éviter à tout prix toute occasion de confrontation militaire directe avec la Russie. C’est ainsi que celle-ci a installé ses missiles antiaériens et que les États-Unis ont dû partager avec elle le contrôle du ciel syrien. On pourrait presque dire qu’en tirant sur un avion militaire russe, le président turc, Recep Tayyip Erdogan, a rendu service à Obama. Poutine a dû reconnaître que son aventure militaire suscitait une sérieuse opposition et il semble prêt aujourd’hui à envisager une solution politique. C’est prometteur.

Il y a encore l’Etat islamique et les attentats terroristes, qui menacent de saper les valeurs et les principes de notre civilisation. Les terroristes veulent convaincre la jeunesse musulmane qu’elle n’a pas d’autre choix que le djihad et, si nous écoutons des gens comme Donald Trump, ils réussiront.

Je ne peux m’empêcher de vous poser la question : connaissez-vous Donald Trump ?

Il y a de longues années de cela, Donald Trump voulait que je sois le locataire principal d’un de ses premiers immeubles. Il m’avait dit : «Je veux que vous veniez voir l’immeuble. Votre prix sera le mien.» Je lui ai répondu : «Je crains de ne pas pouvoir me le permettre», et j’ai décliné son offre.

 

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