Archives mensuelles : décembre 2015

Attentats de Paris : une dixième personne inculpée à Bruxelles, pour «assassinats terroristes»

Une dixième personne, un jeune homme de 22 ans, a été placée en détention préventive à Bruxelles pour «assassinats terroristes et participation aux activités d’un groupe terroriste» dans le cadre de l’enquête sur les attentats de Paris, a annoncé ce jeudi le parquet fédéral belge.

Ayoub B., un Belge né en 1993, a été interpellé mercredi au moment d’une perquisition dans la commune bruxelloise de Molenbeek-Saint-Jean. «Le juge d’instruction a délivré ce matin (jeudi) un mandat d’arrêt à son encontre du chef d’assassinats terroristes et participation aux activités d’un groupe terroriste», selon un communiqué.

Une dizaine de téléphones portables, «en cours d’examen», ont été saisis au cours de la perquisition, qui a eu lieu selon les médias belges dans la même maison déjà fouillée trois jours après les attentats du 13 novembre. A l’époque, l’opération avait donné lieu à un spectaculaire déploiement des forces de l’ordre au coeur de Molenbeek, d’où est originaire Salah Abdeslam et qui a servi de port d’attache à plusieurs membres de cellules jihadistes.

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La maison d’une famille proche de Salah Abdeslam

Selon des informations de la chaîne publique RTBF, des «traces» du passage de Salah Abdeslam, un des principaux suspects en fuite, avait été détectées lors de cette première perquisition. La RTBF en tirait comme conclusion qu’il avait été extrait par des complices avant l’intervention des forces de l’ordre.

Le quotidien Het Laatste Nieuwsa rapporté jeudi que la maison était celle d’une famille proche de Salah Abdeslam, dont cinq membres sont partis en Syrie. Ni armes ni explosifs n’ont été découverts lors de la perquisition de mercredi, a précisé le parquet.

Selon la procédure judiciaire belge, ce nouveau suspect devra comparaître dans les cinq jours devant un juge qui décidera de son maintien ou non en détention préventive.

AFP

Des noms derrière les migrants morts à Calais

Des migrants meurent à Calais. On retrouve leur corps sur le bord de l’autoroute, fauché par une voiture, percuté par un train, électrocuté à l’entrée du tunnel sous la Manche ou encore noyé dans les bassins de rétention d’Eurotunnel. D’autres ont les jambes brisées sous les roues des camions. Des amputés, des grands brûlés survivent. Ils tentent de rallier l’Angleterre, mais l’Europe de Schengen a fait de la frontière de Calais une zone de plus en plus étanche.

Ceux qui n’ont pas d’argent pour payer les passeurs – entre 1 500 et 6 000 euros la traversée, selon qu’elle est ou non «garantie», en camion par le port ou le tunnel –, ceux-là tentent leur chance par petits groupes. A l’assaut des trains, ils risquent leur vie. Les barrières et les barbelés qui barricadent toujours plus les accès au port les incitent à prendre de plus en plus de risques. La nuit, ils trouvent des raccourcis pour traverser l’autoroute, sautent sur les trains qui démarrent au tunnel. Eurotunnel a distribué des tracts et placardé des affiches en neuf langues pour expliquer que le site est «dangereux». Même la mort ne les arrête pas.

Ils et elles s’appellent Zebiba, Ganet, Getnet, Mohammad, Nawal. Ils sont Syriens, Soudanais, Erythréens, Afghans. Certains sont sans identité connue. Libération, avec l’aide de Médecins du Monde, tente de donner un nom et un visage à ces morts de 2015.

 Cliquez sur les silhouettes pour en savoir plus.

Haydée Sabéran Correspondante à Lille

Les besoins simples

J’ai eu l’opportunité d’assister à un séminaire à Deauville sur la généralisation de l’extrapolation des besoins simples. Quand on achète un oiseau chez l’oiseleur, ce brave homme nous dit brièvement ce qu’il faut à notre nouveau pensionnaire, et tout cela, hygiène, nourriture et le reste, tient en quelques mots. De même, pour résumer les besoins essentiels de la plupart des êtres, quelques indications sommaires suffiraient. Leur régime est en général d’une extrême simplicité et tant qu’ils le suivent ils se portent bien comme des enfants obéissants de mère nature. Qu’ils s’en écartent, les complications surviennent, la santé s’altère, la gaîté s’en va. Seule, la vie simple et naturelle peut maintenir un organisme en pleine vigueur. Faute de nous souvenir de ce principe élémentaire, nous tombons dans les plus étranges aberrations. Que faut-il à un homme pour vivre matériellement dans les meilleures conditions possibles? Une nourriture saine, des vêtements simples, une demeure salubre, de l’air et du mouvement. Je ne vais pas entrer dans des détails d’hygiène, ni composer des menus, ou indiquer des modèles d’habitation et des coupes de vêtements. Mon but est de marquer une direction et de dire quel avantage il y aurait pour chacun à ordonner sa vie dans un esprit de simplicité.—Pour nous assurer que cet esprit ne règne pas assez dans notre société, il suffit de voir vivre les hommes de toutes les classes. Posez à différents individus, de milieux très distincts, cette question: Que vous faut-il pour vivre?… Vous verrez ce qu’ils répondront. Il n’y a rien d’instructif comme cela. Pour les uns, autochtones de l’asphalte parisien, il n’y a pas de vie possible en dehors d’une certaine région circonscrite par quelques boulevards. Là est l’air respirable, la bonne lumière, la température normale, la cuisine classique, et, à discrétion, tant d’autres choses sans lesquelles il ne vaudrait pas la peine de se promener sur la machine ronde. Aux divers échelons de la vie bourgeoise, on répond à la question que faut-il pour vivre, par un chiffre, variable selon le degré d’ambition, ou d’éducation, et par éducation, on entend, le plus souvent, les habitudes extérieures de la vie, la façon de se loger, de se vêtir et de se nourrir, une éducation toute à fleur de peau. À partir d’un certain chiffre de rente, de bénéfice, ou de traitement, la vie devient possible. Au-dessous, elle est impossible. On a vu des gens se suicider parce que leur avoir était descendu au-dessous d’un certain minimum. Ils ont préféré disparaître que de se restreindre. Notez que ce minimum, cause de leur désespoir, eût sans doute été acceptable encore pour d’autres, aux besoins moins exigeants, et enviable pour des gens aux goûts modestes. Dans les hautes montagnes la flore change suivant l’altitude. Il y a la région des cultures ordinaires, celle des forêts, celle des pâturages, celle des rochers nus et des glaciers.—À partir d’une certaine zone on ne trouve plus de blé, mais la vigne prospère encore; le chêne cesse dans une région assez basse, le sapin se plaît à des hauteurs considérables. La vie humaine avec ses besoins rappelle ces phénomènes de la végétation. A retrouver et lire plus en détail sur le site de l’agence séminaire à Deauville.

liberté

L’horreur à la télévision américaine (13) – Les voies de l’émancipation

L’horreur à la télévision américaine (13) – Les voies de l'émancipation
Penny Dreadful

L’horreur a pris ses quartiers à la télévision américaine. Des séries comme American Horror Story, Hannibal, The Walking Dead, Penny Dreadful ou The Strain explorent désormais le genre sans retenue, faisant fi des conventions censoriales et des complexes d’infériorité. Retour, en une série de billets, sur la genèse d’un mouvement qui aura mis du temps à s’émanciper.

Si vous avez raté un épisode, vous pouvez tout reprendre depuis le début.)

Maîtriser le temps et la sérialité représente une étape décisive dans le processus d’émancipation de la série d’horreur, qui ne vise pas tant à se délester du passé qu’à l’inscrire dans son propre mode d’expression. Mais la notion de sérialité reste à affiner. Masters of Horror, par exemple, est une anthologie dont les épisodes se ressemblent, mais ne se suivent pas ; elle n’a pas de mémoire à long terme. Seule la forme feuilletonnante de séries comme The Walking Dead, Hannibal ou Penny Dreadful, qui s’inspirent pourtant toutes directement d’œuvres littéraires préexistantes (le comic book de Robert Kirkman, le cycle Hannibal de Thomas Harris, les penny dreadfuls), est à même d’inscrire l’horreur dans la durée sans avoir à opter pour la solution radicale préconisée par Ryan Murphy : « [tuer] tous les personnages à la fin de la saison et [repartir] à zéro[1] ».

Quand le récit de chaque épisode prend la suite du précédent, le prolonge tout en le gardant en mémoire, l’étirement du temps s’accompagne d’un espacement des « moments » horrifiques qui, plutôt que de les diluer, contribue à en accentuer l’impact par la menace qu’ils font peser sur des êtres devenus familiers, trop familiers. Des séries spectaculaires comme 24, Homeland ou Game of Thrones ont démontré avec éclat que des têtes prétendument inatteignables pouvaient désormais tomber sans prendre en compte (ou plutôt, pour mieux déstabiliser) l’accoutumance du public ; nul doute que la série d’horreur, si elle veut incorporer ce que Kristin Thompson qualifie de « art television[2] », devra en passer par ce genre de procédé.

Assimilation et autoréférence

Le refus de la domestication passe donc par une prise en compte active du statut référentiel du public auquel on s’adresse. Comme l’expliquait Stephen King lors de sa conférence de presse à Paris en 2013, à l’occasion de la sortie de Docteur Sleep (la « suite » de Shining) : « Beaucoup de gens considèrent Shining comme le livre le plus effrayant qu’ils aient lu de leur vie. Mais ils avaient 14 ans, étaient en colonie de vacances et le lisaient à la lueur d’une lampe-torche sous les couvertures. Bien sûr qu’ils étaient effrayés, c’était facile ! Maintenant, ils sont devenu adultes, ont vu Vendredi 13 et tout un tas de films d’horreur : c’est beaucoup plus difficile de leur faire peur…[3] »

Ce que ne dit pas l’écrivain américain, c’est que lui aussi a vu « tout un tas de films d’horreur » depuis la parution de Shining en 1977, en connaît par cœur tous les codes et s’en sert de manière détournée pour effrayer ce lectorat qui a grandi en le lisant. À l’image de ses romans post-Vendredi 13, la série d’horreur peut profiter de son temps de retard (sur les arts antérieurs, mais aussi sur des œuvres contemporaines ayant posé de nouveaux jalons) pour demander au lecteur-spectateur non plus de suspendre son incrédulité, mais de « participe[r] activement à l’interaction discursive[4] » et de ressentir à un degré supérieur la tension narrative de la scène par une mise à distance réduite.

Hannibal Lecter en littérature et au cinéma (Le Silence des agneaux, 1991)

Diffusée sur NBC de 2013 à 2015, la série Hannibal a ainsi pleine conscience de devoir son nom à un personnage de tueur en série totalement inscrit dans la culture populaire américaine (et au-delà), grâce à la « série » de romans de Thomas Harris et aux différentes adaptations dont ils ont fait l’objet sur grand écran. En mettant en scène sa carrière de psychiatre avant son internement à vie dans un hôpital psychiatrique (Dragon rouge, Le Silence des agneaux), elle part du principe que ses spectateurs connaissent d’avance le sort que l’avenir lui réserve – même ceux, comme le précise Jason Mittell, « qui n’ont pas lu ou vu le matériau d’origine[5] ».

L’œuvre préexistante ainsi assimilée, le retard évoqué précédemment peut alors se transformer en temps d’avance que la série nous invite à partager avec son personnage central, Hannibal Lecter. La notion d’identification, convoquée à tort et à travers par les théoriciens se penchant sur les séries télévisées, prend du même coup un tour imparable, comme l’illustre une scène de repas entre Hannibal, Bedelia et un invité ne se doutant de rien, Anthony Dimmond, dans l’épisode Antipasto [3.01] :

Dès son plan d’ouverture, cette scène nous place dans la peau du prédateur en train d’ouvrir des huîtres et, ce faisant, plantant virtuellement son couteau dans la tête de son épouse (et ex-psychiatre), Bedelia. Puis le cadre se resserre sur le visage de celle-ci lorsqu’elle comprend qu’elle n’est pas seulement complice, mais potentiellement victime des dons culinaires de son mari (qui signale innocemment que « pour Dante, la peur [était] presque aussi cruelle que la mort »). En l’occurrence, c’est la peur d’être mangée qui s’immisce insidieusement dans l’esprit de Bedelia.

Chaque protagoniste de la scène possède un niveau de connaissance différent de ce qui se trame sous ses yeux. Dimmond, menacé par sa propre curiosité, ignore qu’il est attablé avec un tueur en série et sa complice. Sachant que la viande servie par Hannibal est de la chair humaine, Bedelia préfère quant à elle se contenter d’huîtres, de glands et de marsala ; sans se douter que ces plats de substitution permettent à Hannibal de lui servir « la recette des Romains pour donner du goût aux animaux », ce qui implique qu’elle est elle-même sous la menace. Elle n’est donc rien d’autre qu’un maillon intermédiaire entre Dimmond et Hannibal, qui sait d’avance quel sort il réserve à ses deux compagnons de table.

Quant à nous, spectateurs se trouvant à l’autre extrémité de la table, peu importe que nous ayons vu ou non les deux saisons précédentes : nous savons ce dont est capable Hannibal, même (et surtout) avec ses plus proches collaborateurs. L’effroi que procure cette scène, sans le moindre effet répulsif, ne naît donc pas de notre crainte d’être pris au dépourvu, mais de celle d’être confortés dans nos suspicions.

En termes narratologiques, nous n’assistons pas à « l’absence réfléchie d’une notation [qui se fonde] sur la dimension évolutive de la lecture et sera […] comblée à la fin du [récit][6] » – ce qui reviendrait en l’occurrence à apprendre qu’Hannibal est le tueur dans les derniers instants de la série –, mais au contraire à des anticipations que l’on tente sans cesse de réfréner, tout en sachant que c’est peine perdue. Ainsi placés dans la tête du tueur (et, d’un point de vue analytique, à l’intérieur de la citation qu’il incarne), nous partageons avec lui un excès de savoir qui démultiplie notre envie de voir ses victimes s’en sortir. Dès lors, le sentiment de peur, susceptible de basculer à tout moment dans l’épouvante, ne peut que se perpétuer dans un contexte qui implique pourtant une réitération du texte censée en atténuer l’imprévisibilité.

Disruption narrative : détour, demi-tour, retour

L’horreur sérielle, plus que tout autre genre, gagne par ailleurs à se détourner d’elle-même, ponctuellement ou durablement, pour mieux susciter l’attente et le besoin de savoir du spectateur. Comme le souligne Raphaël Baroni, « si le récit est en mesure d’expliquer quelque chose, il prend un détour pour le faire, et c’est par ce détour qu’il acquiert sa force de persuasion particulière. Cette force s’exprime dans la réticence de la représentation, dans cette inquiétude du sens qui marque l’actualisation des récits à intrigue[7] ».

Refuser de montrer à un spectateur qui, par la force de l’habitude et l’inscription du genre horrifique dans la culture populaire, a « déjà vu » (le monstre, la cachette où il se tapit, la réaction terrifiée de sa victime), c’est le sortir de sa zone de confort et l’amener à s’interroger sur ce qu’on l’empêche de voir. Qu’advient-il de tel personnage qui n’apparaît plus à l’écran pendant plusieurs épisodes ? À quel point le monstre s’approche-t-il de tel autre pendant que le récit se concentre sur son passé par le biais de flashbacks ?

Dans un article consacré au dérapage, au hasard et à l’aléa dans les séries télévisées, Adrienne Boutang évoque la manière dont certaines d’entre elles n’hésitent plus à travailler « le détour, la digression capricieuse […], donnant le sentiment troublant d’un déraillement, d’un basculement au sein de la sérialité », que ce soit à l’occasion d’un épisode digressif [departure episode] ou dans le cadre d’un système généralisé « substituant au ciselage délicat des arcs narratifs une écriture plus informe, moins évidemment vectorisée[8] ». Parce que ses enjeux (anéantir le monstre, rétablir la normalité) manquent rarement de la précéder, la série d’horreur se prête tout particulièrement à ce type d’échappées de soi.

Mais rien ne lui impose de signaler la digression et de prendre ouvertement le spectateur à témoin. Participant d’une télévision « complexe » propice à ce que Jason Mittell appelle des « narrative special effects[9] », Hannibal n’hésite pas, au cours de sa dernière saison, à entremêler allègrement les lignes de temps et les niveaux de réalité sans afficher le moindre signe distinctif, si bien que le spectateur, jusque-là en avance, se retrouve soudain à la traîne, pas tout à fait sûr de comprendre ce à quoi il assiste, flottant dans un « espace onirique intégral » (Matt Zoller Seitz parle d’une série « that takes place entirely in dream space[10] »).

Ce refus du « panneau indicateur » est une technique que ne manqueront pas d’exploiter les séries d’horreur souhaitant à l’avenir se réclamer de la télévision d’art telle que l’a définie Kristin Thompson ; d’autant que la diffusion d’Hannibal sur une grande chaîne américaine, ABC (propriété de Disney), marque la possibilité de venir contester les conventions du récit horrifique sans se priver de viser un public potentiellement large.


[1] MURPHY Ryan, « Nerdist Writers Panel #71: «American Horror Story: Asylum» in review », Nerdist, 29 janv. 2013, http://www.nerdist.com/pepisode/nerdist-writers-panel-71-american-horror-story-asylum-in-review.

[2] THOMPSON Kristin, Storytelling in film and television, Cambridge, Harvard University Press, 2003, p. XII.

[3] KING Stephen, Conférence de presse à Paris, 2013.

[4] BARONI Raphaël, La tension narrative. Suspense, curiosité et surprise, Éditions du Seuil, 2007, p. 96.

[5] MITTELL Jason, Complex TV. The Poetics of Contemporary Television Storytelling, New York, New York University Press, 2015, p. 174.

[6] BARONI Raphaël, op. cit., p. 98.

[7]Ibid., p. 412.

[8] BOUTANG Adrienne, « Le hasard en conserve. Aléa et séries télévisées », Art press 2 n° 32, fév.-avr. 2014, pp. 27-28.

[9] MITTELL Jason, op. cit., p. 43.

[10] ZOLLER SEITZ Matt, « Hannibal Redefined How We Tell Stories on Television », Vulture, 31 août 2015, http://www.vulture.com/2015/08/hannibal-redefined-how-we-tell-stories-on-tv.html.

Brexit : comment calmer les angoisses britanniques ?

REUTERS/Virginia Mayo/Pool TPX

« Personne n’a envie de voir la Grande-Bretagne quitter l’Union et ainsi d’ajouter une nouvelle crise à la série de crises que l’Europe traverse, c’est la chance de David Cameron », le Premier ministre de sa gracieuse Majesté, explique un diplomate européen. Autrement dit, ses partenaires vont tout faire pour lui permettre de prôner le « oui » lors du référendum sur le maintien de son pays dans l’Union qu’il a promis d’organiser avant fin 2017. Certes, il n’a rien obtenu lors du sommet des 17 et 18 décembre (lire ici), mais les chefs d’État et de gouvernement ont promis de répondre à ses préoccupations d’ici au Conseil européen des 17 et 18 février.

C’est la première fois que Cameron s’exprimait devant ses collègues depuis la lettre qu’il a fait parvenir, le 10 novembre, à Donald Tusk, le président du Conseil européen. Il a pu se rendre compte, durant la discussion qui a duré 4 heures, qu’il n’obtiendrait pas facilement satisfaction, ses partenaires n’ayant aucune intention de remettre en cause les principes fondamentaux de l’Union européenne pour ses beaux yeux. En particulier, il a d’ores et déjà été exclu de se lancer dans une renégociation à la va-vite des traités européens, dont ni la France ni l’Allemagne ne veulent entendre parler avant fin 2017, c’est-à-dire avant les élections présidentielles et législatives françaises du printemps et les législatives allemandes de l’automne. Si Berlin y serait plus encline, afin d’en profiter pour approfondir la zone euro, elle a admis que le sujet était politiquement difficile pour François Hollande, celui-ci n’ayant aucune envie de se coltiner un référendum à haut risque si les changements vont trop loin. En clair, Cameron devra se contenter d’une simple « déclaration » sans valeur juridique. Pour autant, elle engagera quand même ses partenaires, comme l’a montré le précédent danois de 1992, les dérogations alors obtenues par Copenhague (monnaie, défense, justice, police, immigration) ayant été intégrées dans les traités suivants.

Le Premier ministre britannique a aussi pu constater que chacune de ses demandes, si simple en apparence, posait d’énormes problèmes juridiques et politiques. Ainsi, en est-il de sa volonté d’obtenir la reconnaissance que l’euro n’est pas la seule monnaie de l’Union. De fait, c’est le cas, Londres et Copenhague ayant obtenu un « opt out ». Mais l’inscrire dans le traité autoriserait les États qui ne sont pas encore membre de l’euro et qui, en adhérant, se sont engagés à rejoindre la monnaie unique dès qu’ils seraient prêts, à ne plus le faire. « On pourrait cependant, dans une déclaration, sans toucher aux traités, rappeler les opt out dont bénéficient le Royaume-Uni et le Danemark », estime un diplomate proche des négociations.

De même, il n’est pas question de biffer du préambule des textes fondateurs la mention que le but de l’Union est de poursuivre « le processus créant une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe ». « Il s’agit des peuples, pas des États », remarque un diplomate européen. « On pourrait se contenter de rappeler que cela n’a pas empêché de reconnaître un statut différencié aux États, mais surtout sans toucher au traité. Sur l’euro et sur le préambule, on est dans l’idéologie pure, mais cela peut remettre en cause l’Europe telle qu’elle est, ce qui est inacceptable », commente un responsable européen.

Sur le renforcement du rôle des parlements nationaux qui est, pour Cameron, un moyen de réduire l’influence du Parlement européen, le consensus est aussi de ne pas toucher à ce qui existe. « Mais, en matière de subsidiarité, depuis le traité de Lisbonne, les parlements nationaux peuvent alerter l’Union qu’elle empiète sur les compétences nationales. Le processus actuel peut-être amélioré, par exemple en allongeant les délais pour permettre aux parlements de mieux se concerter entre eux », suggère un fonctionnaire de la Commission.

Pas question non plus de donner un quelconque droit de véto à la Grande-Bretagne sur les décisions prises au sein de la zone euro, comme elle le souhaite sans le dire expressément. « La peur britannique d’être mis devant le fait accompli n’est pas sérieuse puisque, juridiquement, tous les textes, y compris ceux concernant la zone euro, sont adoptés par le conseil des ministres des Finances où siègent les 28 et non par l’Eurogroupe. Mais on peut améliorer la transparence et trouver des mécanismes d’information très en amont afin de tenir compte des intérêts des pays non membres de l’euro », explique le diplomate déjà cité.

Le sujet le plus difficile sera sans doute celui des prestations sociales accordées par la Grande-Bretagne aux travailleurs de l’Union. Londres voudrait que ces derniers n’y aient droit qu’après quatre ans de séjour, ce qui induirait une discrimination entre Européens totalement interdite par les traités et la justice européenne. Toute la difficulté est que les prestations sociales sont financées en Grande-Bretagne non par des cotisations, comme en France, ce qui permet de ne les ouvrir qu’à certaines conditions, mais par l’impôt, ce qui interdit toute différenciation liée à la durée du séjour ou à la présence de la famille. Sur ce point, il n’y a pas de solution toute faite, d’autant que les États d’Europe de l’Est ne veulent pas que leurs ressortissants fassent les frais d’une discrimination qui les vise très spécifiquement…

Autant dire qu’on risque de rester dans le cosmétique ou, si l’on préfère, dans la résolution psychanalytique des peurs britanniques. La Commission a mis en place une « task force » composée de huit personnes et placée sous la direction d’un directeur général, le Britannique (mais très européen), Jonathan Faull, afin de trouver les bons mots d’ici le mois de février. Reste à savoir si cela suffira à rallier les suffrages des Britanniques. « Rien n’est moins sûr, mais ça permettra au moins à David Cameron de faire campagne pour le oui. Ça sera déjà ça », soupire un diplomate européen.

Niger, San Bernardino, perspectives économiques… l’essentiel de l’actu ce matin

A lire demain dans Libération, «La grande illusion» de la coalition gauche droite. Bousculés par les secousses des régionales, des poids lourds politiques jouent avec l’idée d’une union national… en gardant 2017 en tête. Les mains tendues entre «républicains» se multiplient depuis les régionales. Mais en réalité les lignes ne bougeront pas avant la présidentielle. Analyse et articles signés Lilian Alemagna, Laure Bretton, Laure Equy, Grégoire Biseau et Rachid Laïreche.

Mais aussi… une interview de l’ambassadrice française pour le climat, Laurence Tubiana, qui revient pour nous sur les déroulement des débats au Bourget dans le cadre de la Cop 21. Un long décryptage sur Platini : le président de l’UEFA, attendu demain (vendredi) devant la commission d’éthique de la Fifa, a choisi de laisser ses avocats le représenter. Grégory Schneider vous explique pourquoi. Un mois après les attentats de Paris, les représentants syndicaux et patronaux se sont réunis autour de la ministre du Travail Myriam El Khomri pour faire le point sur les bouleversements dans les entreprises dans le cadre de l’état d’urgence. Nous y étions. Page 18, Catherine Mallaval nous parle de congélation d’ovocytes. Pourquoi ? Figurez-vous que les femmes sont de plus en plus nombreuses à vouloir retarder leur horloge biologique en mettant leurs gamètes au frais, mais la France bloque. enfin, le portrait du jour est consacré à Juliette Gréco, 88 ans, figure de la chanson française, qui sort un ultime coffret de treize CD.