Le Brésil entame samedi un des week-ends les plus marquants de son histoire démocratique qui va sceller en grande partie l’avenir de sa présidente Dilma Rousseff, sur le fil du rasoir d’une destitution au Parlement.
Le compte à rebours est enclenché: plus de 200 millions de Brésiliens sont suspendus aux joutes enflammées des députés, réunis depuis vendredi pour une assemblée plénière marathon de trois jours.
Dilma Rousseff parviendra-t-elle à sauvera son mandat avec l’appui d’un tiers des députés? Ou sa destitution sera-t-elle approuvée par les deux tiers de la chambre basse (342 votes requis) et soumise à l’approbation définitive du Sénat?
La tension est vive, les esprits échauffés. Verdict dimanche soir, en direct à la télévision.
En attendant, les 513 députés du géant émergent d’Amérique latine reprennent samedi leur session marathon à 11H00 (15H00 GMT). Chaque parlementaire du pays-continent s’exprimera trois minutes à la tribune.
– L’opposition y croit –
Les élus ont âprement débattu vendredi du bien-fondé de la procédure de destitution de Mme Rousseff.
Les députés du Parti des travailleurs (PT) au pouvoir et des formations d’extrême gauche ont accusé leurs rivaux conservateurs de fomenter un « coup d’État » institutionnel pour s’emparer du pouvoir qu’ils n’ont su conquérir dans les urnes en 2014.
Dilma Rousseff et son gouvernement, « le plus corrompu de l’histoire », ont « escroqué les électeurs brésiliens » en mentant sur la gravité de la situation économique, ont rétorqué les élus conservateurs.
« Il y a eu un coup (d’Etat), oui! Quand on a caché que le pays était en faillite, quand on a masqué la situation budgétaire du pays et que l’on a continué à faire d’immenses dépenses publiques! », a lancé le juriste Miguel Reale Junior, co-auteur de la demande de destitution.
Ces débats houleux ont ouvert l’un des chapitres les plus dramatiques de la jeune démocratie brésilienne, ébranlée simultanément par un séisme politique majeur, un gigantesque scandale de corruption (la tentaculaire affaire Petrobras) et la pire récession économique depuis des décennies.
Dilma Rousseff est dans une situation critique, considérablement affaiblie par 14 mois d’une crise qui s’est embrasée en mars. Cette semaine, elle a essuyé une avalanche de défections au sein des partis du centre mou de sa coalition hétéroclite en miette.
L’opposition donne sa victoire pour pratiquement acquise dimanche soir.
Il suffirait ensuite, courant mai, d’un vote à la majorité simple des sénateurs pour prononcer la mise en accusation de la présidente et l’écarter du pouvoir pendant au maximum six mois, en attendant le verdict final.
Dans l’intervalle, le vice-président Michel Temer, qui brigue activement le fauteuil présidentiel, assumerait provisoirement ses fonctions.
Pratiquement aussi impopulaire que Mme Rousseff, cet homme d’appareil de 75 ans aurait alors toute latitude pour former un gouvernement de transition.
– Dimanche sous tension –
L’héritière politique de l’ex-président Luiz Inacio Lula da Silva (2003-2010) s’accroche à l’espoir ténu d’une victoire aux forceps.
Fidèle à son tempérament combattif, elle a promis de se battre comme un footballeur « jusqu’à la dernière minute de la seconde mi-temps ».
Le secrétaire général de l’Organisation des Etats américains (OEA), Luis Almagro, lui a apporté son soutien vendredi.
« La procédure de destitution inquiète l’OEA, l’ONU, l’UNASUR (Union des nations sud-américaines), elle préoccupe tous les pays du continent », a-t-il déclaré, ajoutant que les « conseillers juridiques de l’OEA (…) nous ont alertés sur le manque de certitude juridique des accusations » contre Dilma Rousseff.
« Il n’y a pas d’enquête sur elle, elle n’est pas accusée, inculpée par aucune juridiction du pays, alors que beaucoup de ceux qui vont la juger au Congrès sont accusés ou font l’objet d’une enquête », a-t-il souligné. « Quand un gouvernement considère qu’il y a eu des irrégularités d’ordre politique ou judiciaire, il peut utiliser la carte démocratique de l’OEA. Le Brésil décidera en temps voulu s’il souhaite utiliser cette carte ».
La présidente envisage de prononcer samedi une discours radiotélévisé à la nation ou de s’exprimer sur les réseaux sociaux, selon une source gouvernementale.
Elle devrait saluer dans la matinée des centaines de ses partisans qui campent sous des tentes à Brasilia, près du stade Mané Garrincha.
Face au Congrès des députés, une barrière de deux mètres de haut et d’un kilomètre de long a été érigée pour séparer les « pro-impeachment » et les « anti-putsch » qui suivront le vote des députés sur des écrans géants.
La police, en état d’alerte dans tout le pays, craint des affrontements.
De grandes manifestations de chaque camp sont prévues dimanche à Rio de Janeiro (sud-est), le long de la célèbre plage de Copacabana, à des horaires différents.
A Sao Paulo (sud-est), poumon industriel du Brésil et fief de l’opposition, les autorités prévoient une affluence d’un million de manifestants.
16/04/2016 12:58:15 – Brasilia (AFP) – © 2016 AFP