Mayotte, une île au bord de l’insurrection

Blocage des axes principaux, pénurie dans les supermarchés, salariés au chômage technique… Depuis deux semaines, Mayotte vit au rythme de la grève générale. Les syndicalistes, salariés du privé comme du public, réclament «l’égalité réelle» avec l’Hexagone. Ils exigent une application immédiate du code du travail national, des prestations sociales alignées sur la métropole et des mesures pour l’attractivité du territoire.

Chaque jour dès l’aube, les syndicalistes érigent de multiples barrages sur la route principale, le seul axe qui relie les différentes communes du département. Les habitants se trouvent pris en otage, incapables de se déplacer ou d’aller travailler. Dimanche, à la faveur d’un répit, ils se sont rués vers les grandes surfaces pour faire des provisions. Le souvenir de la grève générale de 2011 et de ses terribles pénuries plane encore aujourd’hui. Déjà fragile, l’économie locale menace quant à elle de s’effondrer. Les entreprises sont contraintes de réduire ou de suspendre leurs activités. «Notre chiffre d’affaires a baissé de 80% depuis le début de la grève», déplore Ben Adballah, dirigeant d’une société de BTP.

Le mouvement ne donne pas de signe d’essoufflement. Bien au contraire, le conflit s’enlise. Lundi 11 avril, les contestataires ont affirmé leur détermination à maintenir les barrages, tant qu’un émissaire ne sera pas dépêché de Paris pour examiner leurs demandes.

Plusieurs personnes poignardées

En marge du mouvement, des casseurs sévissent. Depuis samedi soir, des bandes de deux villages différents s’affrontent. A la nuit tombée, des groupes d’une cinquantaine de jeunes effectuent des descentes violentes dans les rues. Accompagnés de chiens, armés de tronçonneuses, de barres de fer, de planches cloutées, de machettes et autres armes de fortunes, ces adolescents aux visages masqués détruisent tout sur leur passage. Plusieurs personnes ont été poignardées. Un homme gravement blessé a été évacué d’urgence à La Réunion. Une autre victime a été hospitalisée ce lundi. Le jeune homme a été attaqué à la tronçonneuse. Blessé à la tête et au bras, il affirme que ses assaillants ont voulu lui couper la tête. Les semeurs de trouble ont également jeté des pierres sur les automobilistes et les forces de l’ordre. Au total, 85 véhicules ont été saccagés, selon la préfecture.

Assise sur le seuil de sa porte, avec son fils d’un an sur les genoux, cette habitante de Cavani se dit terrorisée. Les affrontements se déroulent devant chez elle. Chaque soir, elle entend l’hélicoptère de la police survoler le quartier. La jeune mère raconte avoir vu des enfants d’une dizaine d’années débouler dans la rue : «Ils traînaient des valises à roulettes derrières eux, comme pour aller à l’aéroport. J’ai ensuite compris qu’elles étaient pleines de pierres et de cailloux. Ce qui me fait peur, c’est qu’ils tabassent n’importe qui, on dirait qu’ils veulent juste se défouler. J’ai l’impression qu’on est tous exposés à ce déchaînement de violence.»

Une pétition à l’Elysée

Le 101e département français doit faire face à une immigration clandestine conséquente. On estime que les migrants représentent 40% de la population totale. Ils sont pour la plupart venus des Comores, un archipel situé à seulement 70 km des côtes mahoraises. Parmi eux, beaucoup de mineurs, souvent non scolarisés et livrés à eux-mêmes, sans perspectives d’avenir.

En mars, un collectif avait adressé une pétition à l’Elysée pour réclamer des mesures d’urgence et une prise de conscience nationale sur la situation économique et sociale. Le texte avait été signé par plus de 12 000 habitants, l’équivalent de 10% de la population de l’île. «Nous ne pouvons plus accepter de voir ces milliers d’enfants errer dans nos rues, visitant les poubelles afin de pouvoir se nourrir et pour d’autres participer à des actes de délinquances quotidiens très certainement pour les mêmes fins», déplorait le collectif.

«D’importants efforts sont faits pour mettre à niveau les infrastructures et le droit applicable à ce département ainsi que l’accompagnement social de la population. Cela ne se traduira toutefois par une amélioration du quotidien des Mahorais que si l’on arrive à contenir l’immigration clandestine. Des mesures sont prises à cet effet», avait répondu François Hollande, sans plus de précisions.

Amandine Debaere (à Mayotte)