Pékin fait taire un journaliste critique

La chasse aux critiques ne connaît décidément pas la crise en Chine. Les autorités ont fait savoir dimanche qu’elles détenaient Jia Jia, un journaliste indépendant dont ses proches étaient sans nouvelles depuis le 15 mars. Ce jour-là, Jia Jia avait passé la douane à l’aéroport international de Pékin. Il se préparait à embarquer sur un vol pour Hongkong où il devait participer à un séminaire à la City Université. Mais la police municipale l’a stoppé après son passage devant les services de l’immigration. Une nouvelle affaire qui démontre la dérive autoritaire croissante de l’administration Xi Jinping, le président chinois.

Jia Jia «a été arrêté» à la suite de son «implication dans une affaire», a précisé Yan Xin, son avocat. Peu après son arrestation, défenseurs de la liberté de la presse et activistes des droits de l’homme à Hongkong avaient établi un lien entre la disparition du journaliste et sa probable implication, selon eux, dans la publication d’une curieuse lettre ouverte appelant à la démission de Xi Jinping. Mais, ce mardi, rien ne confirme que Jia Jia soit directement lié à ce texte. Son avocat a indiqué que son arrestation pourrait être liée à une autre affaire.

«Concentration des pouvoirs»

Mis en ligne sur le site chinois Wujie à l’ouverture de la session parlementaire le 4 mars, cet appel aux auteurs méconnus était signée des «membres loyaux du Parti communiste». Elle a vite été retirée mais il est possible d’en trouver des versions en ligne, et notamment une traduction en anglais sur le site chinadigitaltimes.net.

Tout en saluant le travail entrepris par Xi sur le chantier des réformes économiques et de la lutte contre la corruption, le texte critique la «concentration de tous les pouvoirs dans [les] mains du camarade Xi Jinping». De ce fait «nous sommes maintenant confrontés à des problèmes sans précédent et des crises dans tous les domaines politiques, économiques, idéologiques et culturelles», écrivent les auteurs de la lettre. Sur le front diplomatique, ils fustigent une politique qui a «non seulement échoué à créer un environnement international favorable, mais qui a également permis à la Corée du Nord de terminer des essais nucléaires […], aux Etats-Unis d’effectuer un retour réussi en Asie, avec la formation d’un front commun avec la Corée du Sud, le Japon, les Philippines, et les pays d’Asie du Sud pour contenir la Chine». Sans parler de l’enlèvement des libraires de Hongkong qui «a lésé la politique du “un pays, deux systèmes”».

Dans le domaine économique, poursuit le document qui s’adresse à Xi, «votre participation directe à l’élaboration de la politique économique a créé une instabilité sur les marchés boursier et immobilier, contribuant à la disparition de richesses chez des centaines de milliers de gens ordinaires».

«Culte de la personnalité»

Puis le réquisitoire s’intéresse aux questions idéologiques, à la reprise en main des médias, virant à un «culte de la personnalité», ainsi qu’à la campagne anticorruption. Les auteurs suspectent qu’elles soient d’abord et seulement le signe «d’une lutte de pouvoir. […] Nous craignons que ce type de lutte interne au parti puisse également présenter des risques pour votre sécurité personnelle et celle de votre famille.» Autant de raisons qui amènent le document à demander la démission de Xi Jinping.

Journaliste pigiste âgé de 35 ans, Jia Jia s’est fait connaître par ses critiques et ses posts sur le portail web chinois Tencent. Il aurait fait part à ses proches de ses craintes d’être arrêté. Il rejoint les rangs de plus en plus nourris d’avocats, journalistes, militants des droits de l’homme enlevés et inculpés depuis l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping il y a trois ans. Ces derniers mois, les rapts, parfois dans un pays tiers, de libraires de Hongkong ou d’un journaliste chinois en Thaïlande, ont montré les pratiques de hors-la-loi du régime chinois pour instaurer une chape de plomb sur ceux qui révèlent la dérive autoritaire du régime de Xi.

Arnaud Vaulerin Correspondant au Japon