Luiz Inácio Lula da Silva est le nouvel homme fort du Brésil. Après de longues hésitations, l’ex-président (2003-2011) et chef historique du Parti des travailleurs (PT) a accepté ce mercredi le portefeuille dit de la «Maison civile», un poste comparable à celui de Premier ministre, que lui a proposé sa protégée et successeure Dilma Rousseff (PT). La presse s’attend désormais à une version tropicale du tandem Medvedev-Poutine. Selon un éditorialiste de la Folha de São Paulo, l’arrivée de Lula au gouvernement équivaut à la «démission de facto» de «Dilma». Engluée dans une crise économique, politique et morale sans précédent, la très impopulaire présidente se serait résignée à ne plus faire que de la figuration, à se transformer «en reine d’Angleterre».
Un scénario que nul n’aurait pu prévoir pendant les années fastes du Brésil, sous Lula justement. Aujourd’hui, le pays s’enfonce dans la récession. Et chaque jour apporte son nouveau lot de révélations dévastatrices sur le scandale de détournement de fonds au profit de la coalition au pouvoir, via des contrats surfacturés entre Petrobras, la compagnie pétrolière nationale, et certains de ses principaux fournisseurs. Le parti présidentiel est accusé d’être le principal bénéficiaire de ces malversations. Dimanche 13 mars, au moins 1,5 million de Brésiliens ont défilé dans tout le pays pour demander le départ de Dilma Rousseff. La menace de sa destitution par le Congrès semble se rapprocher.
«Tentation populiste»
Lui-même mis en cause dans le scandale Petrobras, Lula n’est plus ce qu’il était. Mais il va jouer ce qui lui reste de crédibilité pour tenter de sauver sa protégée de l’impeachment, alors que la procédure, déclenchée en décembre, doit reprendre cette semaine. Le leader de la gauche devra user de son talent de négociateur pour dissuader le Parti du mouvement démocratique brésilien (PMDB), formation du vice-président Michel Temer, soit l’homme appelé à remplacer Dilma Rousseff si elle était destituée, de rompre avec le gouvernement. Paradoxalement, les dernières révélations de l’affaire Petrobras devraient lui faciliter la tâche, en éclaboussant la principale figure de l’opposition, le sénateur Aécio Neves, président du Parti de la social-démocratie brésilienne (PSDB, centre droit), mais aussi … Michel Temer lui-même. L’autre grande mission de Lula consistera à tenter de relancer une économie aux abois. L’ex-chef de l’Etat aurait exigé d’avoir les coudées franches pour prendre un virage à gauche dans la politique économique. Les milieux d’affaires craignent la «tentation populiste» qui consisterait selon eux à réduire à marche forcée les taux d’intérêt et puiser dans les réserves internationales de la Banque centrale pour abattre la dette.
Pour ses adversaires, pourtant, l’entrée de Lula au gouvernement n’est qu’une manœuvre pour tenter de se soustraire à la justice. L’ex-Président est accusé d’avoir bénéficié des largesses d’entreprises ayant détourné des fonds de Petrobras. La coïncidence est troublante : c’est après le mandat d’amener délivré contre lui le 4 mars par l’implacable Sergio Moro, le juge en charge de l’affaire, que Dilma a eu l’idée, soufflée par le PT, de lui offrir un portefeuille … Le but serait de mettre Lula à l’abri de Sergio Moro, censé statuer sur une demande de mise en examen et d’arrestation préventive de l’ex-Président, émanant du parquet de São Paulo. Les ministres sont effet jugés par la Cour suprême, dont Lula avait lui-même nommé plusieurs membres…
Chantal Rayes Correspondante à São Paulo