Le changement en Ouganda attendra. Sans surprise, Yoweri Museveni a été réélu pour un cinquième mandat à la tête du pays qu’il dirige depuis trente ans, avec 60,75% des voix, selon la Commission électorale ougandaise, après l’unique tour de l’élection présidentielle du 18 février. Kizza Besigye, principale figure d’opposition (35,37%), a quant à lui été placé sous surveillance après sa troisième arrestation en une semaine.
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D’après la police, le leader du Forum pour le changement démocratique (FDC), très populaire dans l’Ouest, dans le Nord et dans certains quartiers de la capitale, se préparait à annoncer des résultats parallèles, estimant que l’élection n’avait pas été équitable. Les mêmes critiques sont venues des observateurs de l’Union européenne, qui ont remis en cause l’indépendance de la Commission électorale tout en jugeant ne pas pouvoir remettre en cause le scrutin. Le président du groupe d’observateurs du Commonwealth, l’ancien président nigérian Olusegun Obasanjo, a quant à lui insisté sur le poids de «l’argent politique» ainsi que sur la fusion entre l’Etat ougandais et le parti au pouvoir. Au même moment, Yoweri Museveni recevait les félicitations de Pierre Nkurunziza, dont la réélection a plongé le Burundi dans un début de guerre civile.
«Qu’est-ce que la paix quand tu n’as pas à manger ?»
A sept heures de route à l’ouest de Kampala, Kasese a retenu son souffle après une manifestation d’opposants réprimée au gaz lacrymogène. Mais à l’heure de l’annonce des résultats, c’est la joie qui prime dans cette ville au pied des montagnes, où contrairement à certains quartiers de Kampala les urnes sont arrivées à temps. «Même si les conditions de vote sont bonnes, beaucoup de gens ont été intimidés et des militants menacés jusqu’à l’élection», témoignait un observateur local au moment du dépouillement. Ici, Kizza Besigye a battu Yoweri Museveni avec 56,41% des voix et cinq des six membres du Parlement élus pour représenter le district, dont une femme, sont membres du FDC. «A Kasese, on n’a pas vu les résultats de l’action du gouvernement depuis trente ans, explique un entrepreneur. Museveni a fait la paix dans le pays, mais qu’est-ce que la paix quand tu n’as pas à manger ?»«Nous ne sommes pas contre Museveni, nuance un jeune homme, mais il faut changer. Il doit aller à la retraite. Et à vrai dire, il y a peu de différences entre lui et Besigye.»
Il est vrai que le programme de Kizza Besigye, ancien médecin personnel de Yoweri Museveni, présente peu de différences avec celui du président. Mais vu de Kasese, c’est la corruption du régime qui a été le facteur de cette victoire. «L’Ouganda a besoin d’être unifié, alors que les ministres le divisent en favorisant leurs proches», résume un mécanicien qui assiste au défilé des vainqueurs dans la ville. Dans cette région éloignée de Kampala, dont le roi coutumier s’est déclaré opposé à un nouveau mandat de Yoweri Museveni, c’est Crispus Kiyonga, le ministre de la Défense originaire de la région, qui concentre toutes les critiques. «Besigye parle aux gens ordinaires. Les gens autour de Museveni s’enrichissent et ont un train de vie extravagant, tandis qu’il n’y a pas assez d’écoles et pas assez d’hôpitaux ici, poursuit un jeune homme sans emploi. On espère qu’à la prochaine élection, nous serons moins déçus.»
Pierre Benetti à Kasese, Ouganda