La déchéance de nationalité fait craquer Dounia Bouzar

Elle était le visage médiatique des actions de prévention de la radicalisation. Dounia Bouzar, directrice générale du Centre de prévention contre les dérives sectaires liées à l’islam, a annoncé ce jeudi qu’elle ne poursuivrait pas sa collaboration avec le ministère de l’Intérieur en raison de l’extension de la déchéance de nationalité. Le CPDSI, dont le marché pouvait être reconduit de manière tacite en avril 2016, rendra un dernier bilan comptable et pédagogique au printemps. Puis l’association devrait être dissoute. Quant aux quelque 771 jeunes suivis en 2015 par le centre, le relais sera transmis aux préfectures.

Lylia Bouzar, fille de Dounia et présidente du CPDSI, explique à Libération avoir attendu «le plus possible» de voir la teneur des débats sur la déchéance de nationalité. «Lorsqu’on a compris que le gouvernement poursuivait dans son entêtement, on a dit stop.» Selon elle, cette mesure «remet en cause toute la politique publique du ministère de l’Intérieur à laquelle on avait adhéré en 2014. On ne peut pas accepter de relier les origines à un engagement jihadiste».

Dans son communiqué, le CPDSI détaille : «Faire croire aux Français que la déchéance sera un symbole pour lutter contre Daech est une réponse déconnectée de la réalité […]. L’amalgame renforce toujours les radicaux.» Selon Lylia Bouzar, les récents débats politiques ont «meurtri» certaines familles dont s’occupe sa structure : «Elles craignent que leurs enfants ne soient pas pris en charge de manière individuelle.»

«Attaques injustes»

Le CPDSI, qui a bénéficié de 883 000 euros de subventions publiques en deux ans, a travaillé sur plusieurs fronts : recherche sur les méthodes de communication des jeunes radicalisés, suivi et accompagnement des familles, voire de leurs enfants, et formation des agents préfectoraux (pour plus d’informations, lire son rapport 2015). La structure a été critiquée sur plusieurs points. Certains lui reprochaient son approche tendant à faire de la radicalisation jihadiste une «dérive sectaire». Plusieurs enquêtes, dont celle de Libération, ont aussi montré que le CPDSI se confondait parfois avec la famille Bouzar. Deux filles de Dounia, Lylia et Laura, apparaissent dans son organigramme.

Le ministère de l’Intérieur, lui, n’a jamais retiré son soutien à l’association. «Dounia Bouzar a effectué un excellent travail et nous étions prêts à continuer avec elle, affirme-t-on place Beauvau. Elle nous a annoncé son choix d’arrêter à l’avance et en bonne intelligence. Elle ne nous laisse pas en rase campagne.» Lylia Bouzar, de son côté, reconnaît que le suivi des familles, un peu partout en France, par l’équipe mobile du CPDSI (sept salariés) avait pu «fatiguer» les troupes, tout comme certaines «attaques injustes». Sans oublier les menaces dont Dounia – qui vit sous protection policière –, a pu régulièrement faire l’objet.

La famille Bouzar ne compte pas pour autant couper les ponts avec le dossier. Le cabinet «Bouzar Expertises», créé en 2008, va reprendre une activité plus intense et se concentrer, désormais, sur des travaux de «recherche académique», notamment à propos de la «porosité entre le salafisme quiétiste et les discours radicaux». Quant aux pouvoirs publics, ils pourraient lancer un appel d’offres pour trouver de nouveaux intervenants. «Quand on a commencé à s’intéresser au problème il y a deux ans, il n’y avait que Dounia Bouzar, et nous lui en sommes reconnaissants. Aujourd’hui, les acteurs sont bien plus nombreux», note-t-on au ministère de l’Intérieur.

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Sylvain Mouillard