Les travailleurs ubérisés

Les plateformes, comme Uber, Airbnb ou les applications de livraison de repas comme Deliveroo, sont devenues des entreprises mondiales pourvoyeuses d’activité pour des millions de personnes dans le monde.   Ces nouvelles pratiques sociales interrogent le droit du travail en faisant émarger un type de travailleur ni tout à fait salarié, ni tout à fait indépendant.  Une étude menée par la Dares, c’est-à-dire les services de statistiques et d’études du ministère du Travail et publiée en août 2017, pointe l’ensemble des conséquences de l’émergence de ces plateformes, en particulier sur le droit social. Si le nombre exacte de personnes concernées en France est encore modeste – l’étude cite des chiffres de 2015 et avance la création de 2250 emplois directs « seulement » – celui-ci est en constante augmentation ces quatre dernières années.  Comme le précise l’étude, il possède des « caractéristiques le rapprochant des indépendants: il est propriétaire de son outil de travail, libre de choisir ses horaires (…) et peut travailler avec plusieurs plateformes concurrentes. » Pourtant, il n’est pas tout à fait indépendant puisqu’il dépend financièrement de la plateforme de mise en relation.   Ce brouillage des frontières pousse certains à réclamer la création d’un troisième statut pour ces travailleurs. Une piste notamment explorée aux Etats-Unis où, comme l’explique la note de la Dares, deux économistes Alan Krueger et Seth Harris, militent pour la création d’une troisième voie.   Ce statut permettrait aux travailleurs de se regrouper pour négocier leurs conditions de travail – chose impossible pour les indépendants américains pour le moment. Il leur octroierait également certains avantages concernant la protection sociale et la garantie de certains droits fondamentaux comme la protection contre la discrimination ou le harcèlement.     « Les travailleurs seraient dans l’ensemble mieux protégés, assurent les deux économistes, cités dans l’étude de la Dares. Une telle réforme mettrait fin à l’insécurité juridique actuelle, particulièrement défavorable aux intermédiaires, qui courent le risque que les relations soient requalifiées en contrat de travail classique. »  L’étude s’interroge donc sur l’opportunité de créer ce « troisième statut » en France et apporte de nombreux arguments s’y opposant.   Tout d’abord, rappelle le texte, en France, le droit du travail est construit sur la relation de subordination entre l’employé et l’employeur. « Il serait difficile de créer un nouveau statut auquel le critère de subordination ne pourrait être opposé, sans remettre fondamentalement en cause le statut de salarié et tout le droit du travail associé », pointe l’auteure.   Aux yeux de la Dares, cette problématique n’est de toute façon pas nouvelle puisque, affirme-t-elle, la zone grise entre salariat et non-salariat existe depuis la Révolution industrielle. » Enfin, « la création d’un troisième statut risquerait de remplacer une frontière floue par deux délimitations qui auraient également chacune leur part d’incertitude ».   « Orienter le débat autour d’un troisième statut occulte peut-être le fond du problème qui est de mieux clarifier le lien de dépendance des travailleurs aux plateformes », juge l’étude.   Selon la Dares, en matière de protection sociale, il n’est pas nécessaire de créer un nouveau statut pour garantir une meilleure prise en charge aux indépendants, estimant « que les évolutions réglementaires françaises en la matière se sont dirigées dans le sens d’une harmonisation/convergence des régimes et d’un rattachement des droits à la personne plutôt qu’à l’emploi avec le compte personnel d’activité (CPA) ».  En effet, la création de ce compte entend suivre le travailleur tout au long de sa vie professionnelle, peu importe son statut en lui accolant des droits propres qu’il conservera. L’étude reprend une des préconisations du rapport Terrasse publié en 2016, qui préconisait une immatriculation systématique des travailleurs des plateformes comme auto-entrepreneurs notamment. Il conviendrait, juge l’étude, d’étendre le droit existant et de l’adapter, sans pour autant créer un troisième statut.     Reprenant les préconisations de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) formulées l’an dernier, le texte suggère ainsi la création d’un système de médiation entre travailleurs et plateformes ou encore l’assimilation de certains travailleurs très dépendants – qui ne sont pas les plus nombreux – à des salariés. Une clarification, qui, pour l’instant, ne résout pas le problème. .