Star de la littérature américaine redécouverte à Paris sur la scène du Lucernaire dans une pièce «Excusez-moi pour la poussière», l’inscription qu’elle avait préparée pour sa tombe… Quelle bonne idée de mettre en scène la femme la plus drôle (à mon avis) du XXe siècle.
Dorothy Parker, mon idole. Depuis des années je la cite à tour de pages. Je m’en sers comme antimissile, balançant à mes ennemis ma phrase préférée: «Women and elephants never forget.» Et oui, les femmes et les éléphants n’oublient jamais, c’est vérifié. Remember !
Natalia Dontcheva dans le rôle de Dorothy Parker. DR
Grand-mère spirituelle de Woody Allen, aussi drôle, aussi triste que lui, comme les grands comiques. Pensez à Robin Williams qui fit se tordre la planète et termina en se suicidant avec sa ceinture autour du cou. Dorothy Parker se serait reconnue dans ce jeune Robin Williams, elle qui ne cessait de se suicider en vrai ou au Bourbon. Dans son génial recueil de poèmes (Assez de corde pour me pendre) on trouve son «Resume» ou curriculum vitae en français (si on peut dire), qui explique pourquoi elle s’est toujours ratée:
«Razors pain you; Rivers are damp; Acids stain you; And drugs cause cramp.
Guns are not lawful; Nooses give; Gas smells awful;
You might as well live.»
Sur la petite scène du Lucernaire, Dorothy ressuscite à travers la comédienne Natalia Dontcheva, une incarnation stupéfiante de la Parker, égérie des écrivains américains entre-deux-guerres mondiales. Dans les années 20, déjà célèbre, critique littéraire à Vanity Fair puis au New Yorker, auteur de poèmes, de nouvelles, de scripts hollywoodiens (Une étoile est née) elle se réunissait avec cette génération qui n’avait pas encore fui l’Amérique tous les après-midi pour une Table Ronde à l’Algonquin. Le «cercle vicieux» (Vicious Circle) comme ils se surnommaient.
Elle est drôle, cynique, méchante, passionnée de littérature, de théâtre et de politique. Et un grand écrivain même si elle n’a laissé que de petites nouvelles et critiques, pas d’œuvre magistrale comme ses amis Scott Fitzgerald, Hemingway, Dos Passos, Faulkner… De l’humour à petites touches reconnu par des prix littéraires.
Très moderne, subversive, elle ironise sur l’amour, le couple, la famille, la mondanité, la superficialité, le racisme… tout en parlant d’elle-même. Le mariage? Elle le pratique trois fois, dont deux avec le même homme, Alan Campbell. Elle raconte ce deuxième mariage à son amie Lilian Hellman (auteur de La femme inachevée et femme de Dashiell Hammett): «Le mariage était très réussi, dit-elle, il y avait plein de gens qui ne s’étaient pas adressé la parole depuis des années, en particulier le marié et la mariée.»
La pièce écrite par Jean-Luc Seigle et mise en scène par Arnaud Sélignac démarre sur ce deuxième mariage de Dorothy Parker en pleine crise, accrochée à sa bouteille, mais toujours en vison et collier de perles, aussi drôle quand elle parle de ses mésaventures que quand elle décrit le quotidien de son anti-modèle: la femme d’intérieur.
Féministe, intellectuelle engagée comme ses amis Hammett et Hellman, elle est aussi convoquée dans les années 50 par la fameuse commission Mccarthy (House Un-American Activities Committee) qui chasse les sorcières communistes en pleine guerre froide. Surtout à Hollywood. Elle s’habille en rouge, bien sûr, pour son interrogatoire par le sénateur McCarthy et ses sbires anticommunistes.
«L’humour, le vrai, ne se démode pas» disait d’elle l’écrivain Somerset Maugham, cité par Benoîte Groult qui, la première, a prêté sa plume à la traduction de ses nouvelles (La vie à deux). Sur scène, en ce mois de janvier 2016, la Dorothy Parker n’a pas perdu de sa brillance ni de sa séduction hystérique. On rit avec cette Américaine du temps passé. Et on l’aime toujours.
Annette
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