Mourad Boudjellal, fin gastronome et pas vraiment fan de pâté, est fixé : cette équipe de Toulon, c’est encore du foie gras ! Certes moins frais que par le passé, un peu jauni et abîmé par le temps et l’usure, mais le goût reste encore agréable en bouche, les spectateurs du stade Mayol ont vibré à l’unisson cet après-midi, au bout du suspense, exultant avec la ferveur des soulagés. Le temps réglementaire est terminé depuis quelques secondes, le RCT joue son 143e temps de jeu, les Londoniens des Wasps résistent férocement, ils tiennent la première victoire d’une équipe étrangère à Toulon en Coupe d’Europe, un petit tsunami menace d’emporter la Rade et le tenant du titre depuis mai 2013.
Une passe de Ma’a Nonu, qui a joué avec des moufles une grande partie de la rencontre (plaquages ratés, passe sautée bien trop sautée, en-avant), envoie le funambule Drew Mitchell dans l’en-but adverse. Mitchell, le plus fou de la bande, celui qui filme avec un drone son coéquipier Matt Giteau en train de se baigner à poil dans une calanque varoise, permet au RCT de continuer à rêver d’une qualification en quarts de finale et d’un quadruplé. «J’ai dit il n’y a pas longtemps que j’avais tout vécu, souffle le président Boudjellal. C’était faux, je n’avais jamais vécu ça. L’élimination ne veut pas de nous depuis trois ans et demi, mais la grande faucheuse s’est bien rapprochée. On est moins fringants que d’autres équipes, mais on s’est donné un peu de répit, on va essayer de récupérer nos blessés, notre énergie. On sait ce qui nous attend à Bath [samedi prochain, ndlr] mais on reste en vie, on revient de loin, d’une grosse défaite aux Wasps [un concassage en règle, 32-6, le 22 novembre, ndlr].»
Laporte : «Ce n’est pas un grand Toulon, mais un Toulon costaud dans la tête»
A Bath, déjà éliminé mais pénible à jouer (maigre victoire 12-9 à Mayol le week-end dernier), le RCT cherchera samedi prochain une cinquième victoire consécutive en Champions Cup. Sans la maestria de Giteau, qui sera opéré des adducteurs demain et sera absent trois mois, cette formation est moins brillante. Sans la précision de Leigh Halfpenny, victime d’une rupture des ligaments du genou en septembre, elle est dépourvue de tireur d’élite. Face aux Wasps, la transformation ratée et le drop caviardé de Quade Cooper, puis les deux pénalités manquées par Frédéric Michalak, son successeur à l’ouverture, ont failli coûter très cher.
«J’ai bien cru que c’était fini… J’aurais préféré qu’on tue le match avant, mais quand tu laisses passer autant de points en route, tu te compliques la tâche, explique le manager Bernard Laporte. A la mi-temps, je leur ai dit : ‘‘Si on marque une ou deux fois, on leur met 30 points.’’ Mais on ne le fait pas. C’est comme aux cartes. Si tu as du jeu et que tu ne prends pas, ça se retourne contre toi.» Le demi-de-mêlée Eric Escande abonde : «C’est notre défaut du moment, on n’est pas assez réalistes. On essaie de mettre un gros volume de jeu, mais on fait plein de petites fautes de main. Sur la dernière action, pfff, j’ai les mains sur la tête, je suis en train de prier.»
Laporte peut compter sur ses grognards, la puissante troisième ligne composée de Juan Smith, Steffon Armitage et Duane Vermeulen, sur l’impeccable Bryan Habana, sur l’épatant Josua Tuisova, qui a parfaitement servi Cooper pour le premier essai du match, après une série de turnovers de chaque côté. Ça suffit, pour l’instant, en espérant que l’épidémie de blessés ne dure pas. «Ce n’est pas le grand Toulon, mais un Toulon costaud dans la tête, ajoute Laporte. La dernière action, c’est comme à la pétanque, sur le dernier tir. Il ne faut pas trembler !» Après avoir chanté sous la douche, Drew Mitchell est passé dans les couloirs de Mayol avec le sourire et une bière à la main. Devant une pinte comme devant l’en-but adverse, lui ne tremble jamais.
Mathieu Grégoire Envoyé spécial à Toulon